Jeanne, écoutant ses voix, a inspiré de façon plus ou moins heureuse les peintres de la fin du XIXe siècle. Tel a opté pour la simplicité, l’ingénuité d’une bergère « inspirée« , avec ses moutons, tel autre a été plus sensible à l’étrangeté du dialogue avec un monde surnaturel.
Pour Jeanne, passé le temps des premières frayeurs semble s’être établie une sorte de familiarité avec ses « voix« , ou son « conseil« , comme elle les appellera aussi.
Elle l’affirmera sans ambages durant le procès :
« Je vous ai déjà dit que ce sont Sainte Catherine et Sainte Marguerite. Et croyez-moi si vous voulez !«
– » Cette voix a-t-elle parfois changé sa délibération ?
– » Jamais je ne l’ai trouvée en deux paroles contraire.«
– « Cette voix que vous dites vous apparaitre, est-ce un ange ou vient-elle de Dieu immédiatement ?«
– « Cette voix vient de par Dieu et je crois que je ne vous dis pas pleinement ce que je sais. J’ai plus grand peur de faire faute, en disant chose qui déplaise à ces voix, que je n’en ai de vous répondre. »
Les habitants de Vaucouleurs, gagnés à sa cause, lui offrent des vêtements d’homme pour qu’elle puisse chevaucher, ainsi qu’un cheval. Finalement, Jeanne et ces six hommes prennent le départ de Vaucouleurs quelque temps après le dimanche des Bures, c’est-à-dire le 13 février de l’année 1429. Jeanne a alors dix-sept ans.
La petite escorte allait mettre onze jours pour traverser la France de Vaucouleurs à Chinon ? Ce qui représente une excellente moyenne puisqu’il lui a fallu franchir quelque six cents kilomètres. On ignore les étapes précises du parcours, sauf la première : le monastère de Saint-Urbain-de-Joinville. Il ne fallait pas attirer l’attention des Anglais et donc éviter les principales villes et les principaux ponts.
C’est pour Jeanne la première épreuve et les six hommes qui l’entourent sont petit à petit gagnés à sa cause durant ce compagnonnage de tous les instants où ils courent ensemble une multitude de périls à travers des chemins peu sûrs, comportant des fleuves qu’il faut franchir à gué. Lorsqu’ils atteignent le terroir demeuré Français, à Auxerre, Jeanne d’abord entend la messe « dans la grande église », précise-t-elle, c’est-à-dire la cathédrale.
À l’étape suivante, Sainte-Catherine-de-Fierbois, elle dicte une lettre à l’attention du « Dauphin » : c’est ainsi qu’elle appellera Charles jusqu’au moment où il sera sacré. Sans doute Colet de Vienne fut-il désigné pour porter cette lettre, conformément à sa fonction. Robert de Baudricourt avait par ailleurs dépêché un autre héraut, qui dut arriver à Chinon peu après Jeanne et ses compagnons ; on place généralement cette arrivée au 6 mars 1429.
Le château de Chinon dresse au-dessus de la vallée de la Vienne des ruines qui restent imposantes aujourd’hui encore. Il était puissamment fortifié. L’année précédente, en 1427, le dauphin Charles y avait réuni des États généraux qui avaient tout au moins permis de constater la fidélité de la France du Midi à sa cause : aux « Bourguignons » s’opposaient déciment les « Armagnacs« .
Le touriste qui aujourd’hui monte jusqu’au château en empruntant ce qu’on appelle toujours la « rue Jeanne-d’Arc » voit d’abord, parmi les restes de murailles détruites, destruction qui date du XVIIe siècle et provient surtout de l’abandon dans lequel il fut laissé par les ducs de Richelieu auxquels il appartenait. Un mur auquel est restée, comme suspendue, une cheminée : c’est celle de l’ancienne salle du château où Jeanne fut reçue par le dauphin.
Le roi prend conseil de son entourage : faut-il recevoir cette fille qui vient d’une extrémité du royaume, des « marches » de la frontière de Lorraine ? Serait-ce une folle ? Une illuminée ? Ou pire une espionne ?
Finalement, il décide de la recevoir et, après deux jours d’attente, Jeanne, le troisième soir, est admise à pénétrer dans la grande salle du château. Elle va droit au roi, lequel s’était dissimulé parmi les seigneurs de son entourage, et lui délivre l’essentiel de son message :
« Gentil Dauphin, j’ai nom Jeanne la Pucelle, et vous mande le roi des cieux par moi que vous serez sacré et couronné dans la ville de Reims et vous serez lieutenant du roi des cieux qui est roi de France«
Ajoutant après les questions du roi :
« Je te dis de la part de Messire (Dieu) que tu es vrai héritier de France et fils de roi et il m’a envoyé à toi pour te conduire à Reims pour que tu reçoives ton couronnement et ta consécration, si tu le veux«
On peut imaginer l’effet de semblable parole sur ce jeune Dauphine de vingt-six ans qui, depuis la mort de son père fou en 1422, n’a vécu qu’incertitudes et difficultés, après une jeunesse plus que troublée, puisqu’il a vu mourir successivement ses deux frères ainés, Louis et Jean, et les calamités de toutes sortes s’abattre sur un royaume, que l’on compare alors à une « nef sans gouvernail« .
Charles attire Jeanne un peu à l’écart, près de cette cheminée demeurée suspendue entre ciel et terre, et il a avec elle un entretien secret.
« Après l’avoir entendue, il paraissait radieux«
Déclarera plus tard au procès de réhabilitation Simon Charles, un des principaux témoins de la scène. Que lui a-t-elle dit ? A-t-elle révélé au roi une prière que celui-ci aurait faite seul dans son oratoire, comme il l’a confié plus tard à l’un de ses proches ? Lui-a-t-elle confirmé qu’il était bien le fils de Charles VI, et non pas un bâtard comme le bruit courait ?
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Jeanne est obstinément restée muette sur ce point. Toujours est-il que la petite paysanne est admise à demeurer au château : un logement lui est assigné dans la tour du Couldray, qui subsiste encore.
Source : J’ai nom Jeanne la Pucelle – Régine Pernoud – 1994