C’est le 11 février 1906 que Saint Pie X répondit à Ferrari, à Briand, à la Maçonnerie universelle et aux communions de France et d’Italie.
En 1905, les loges ont pensé que la poire était mûre. Briand a été chargé de la cueillir avec précaution. On y mettrait des associations cultuelles en apparence anodines. On ne leur donnerait ni le droit d’élection, ni la maîtrise absolue sur le clergé, cela viendrait plus tard par une évolution naturelle que le législateur sanctionnerait. La loi préparerait seulement l’avenir en écartant avec soin toute reconnaissance de la hiérarchie et en habituant les associations cultuelles à l’indépendance. Ce sont elles qui seront à l’avenir l’organe juridique de la propriété et de l’administration des biens temporels nécessaires à l’Église.
Dans la loi, ce sont elles qui reçoivent par dévolution (article 4 voir l’article) les biens des anciens établissements ecclésiastiques que la loi laisse subsister ; qui jouissent des édifices servant à l’exercice du culte, ainsi que des évêchés, presbytères et séminaires (article 14) ; qui perçoivent et administrent les ressources financières fournies par les fidèles (article 19 et 21) ; qui constituent des unions et des fédérations entre elles (article 20); qui possèdent en un mot la personnalité civile reconnue par la loi de 1901 aux associations déclarées.
Tout cela a passé sans trop de difficulté, Briand et les loges avaient eu raison de penser que la poire était mûre.
Mais Pie X ne laissera pas cela se faire. Non, leur dit-il, nous ne voulons pas de cette loi qui est la réalisation hypocrite du plan préconisé par les loges depuis un demi-siècle. Nous ne voulons pas de cette loi qui refuse de reconnaître la hiérarchie de l’Église et ses droits sur les biens du culte. Nous ne voulons pas de cette loi qui, de l’aveu de ses auteurs, est destinée à préparer une évolution de l’organisation ecclésiastique contraire aux desseins de son divin Fondateur.
« L’Église, dit-il textuellement, repose sur les évêques et toute sa vie active repose sur eux… Contrairement à ces principes, la loi de séparation attribue l’administration et la tutelle du culte public, non pas au corps hiérarchique divinement institué par le Sauveur, mais à une association de personnes laïques. C’est à cette association que reviendra l’usage des édifices sacrés ; c’est elle qui possédera tous les biens ecclésiastiques, meubles et immeubles… Et si la loi déclare que les associations cultuelles doivent être constituées conformément aux règles générales du culte, d’autre part, on a bien soin de déclarer que si des contestations surgissent, le Conseil d’État et les tribunaux seront seuls compétents… Combien toutes ces dispositions sont blessantes pour l’Église et contraires à ses droits et à sa constitution divine, il n’est personne qui ne l’aperçoive au premier coup d’œil…«
Quelques-uns de nos évêques et des laïques distingués pensèrent qu’il y avait peut-être un moyen de conciliation et des accommodements avec la loi. Ils proposèrent un projet de statuts pour des cultuelles orthodoxes. Les évêques ne présentèrent d’ailleurs cet essai qu’avec tout le respect dû au Saint-Siège et en demandant sa décision.
Pie X réfléchit et pria, puis il parla une seconde fois avec fermeté et clarté en datant sa lettre. Non sans intention, du jour de saint Laurent, le grand martyr qui a souffert la mort pour n’avoir pas voulu livrer les trésors de l’Église au pouvoir civil.
Non, dit-il à nouveau, nous ne pouvons pas accepter les associations cultuelles telles que les présente la loi. Quant à celles que des esprits conciliants ont conçues, elles pourraient être essayées, si le gouvernement nous déclarait qu’il les tiendrait pour légales. Autrement, nous ne serions pas en sécurité et le gouvernement détruirait demain ces associations comme contraires à la loi. Qu’on nous donne donc, dit-il, la liberté dans le droit commun ! Nous avons droit à mieux, mais avec cela au moins nous pourrions vivre. Mais ce n’est pas ce que veulent les fabricateurs de cette loi injuste. Sous le nom d’une loi de séparation, ils ont fait une loi d’oppression, nous ne pouvons pas l’accepter.
La loi Briand est l’aboutissement d’une campagne menée par la Franc-maçonnerie européenne depuis quarante ans. Elle devait préparer par les associations cultuelles une réforme ultérieure, une évolution dans le sens d’un néo-protestantisme. Maintes fois, en préparant la séparation de l’Église et de l’État, les francs-maçons de marque en Italie et en France ont laissé échapper ce secret. Nous l’avons vu. – C’est Minghetti, l’ami et le collaborateur de Cavour, qui voit dans les associations cultuelles le prélude de l’élection des ministres du culte et de la réforme de l’Église, dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre temporel.
C’est le Manuel de droit ecclésiastique d’Olmo, très répandu parmi les étudiants et les avocats, qui appuie la thèse de Minghetti et qui ajoute que la question romaine sera résolue et que le pouvoir politique du Pape n’aura plus de raison d’être, quand les églises auront pris un caractère national.
C’est le sénateur Cadorna avec son projet de 1885, analogue au projet Briand, mais plus franc, qui donne aux associations cultuelles le droit de nommer et de révoquer les ministres du culte. C’est la thèse du professeur Brusa qui prévoit que les associations cultuelles conduiront à des églises nationales. Le ministre Costa, le professeur Scaduto, le sénateur Piola, sont d’avis qu’il faut procéder par étapes pour que la conscience juridique des fidèles ait le temps de se former.
Briand aussi voulait la former en commençant par des associations anodines en attendant l’évolution des idées. Contentons-nous, disait Minghetti, d’ouvrir la porte et d’organiser un point de départ. Tâchons que les croyants ne regardent pas notre projet comme insidieux.
Mon projet, disait Briand, n’est pas un piège.
Vraiment tous les maçons se ressemblent. Pie IX a brisé le projet de Minghetti par le Syllabus. Léon XIII a fait avorter le projet de Cadorna par l’encyclique sur la Constitution chrétienne des États. Pie X a empêché les effets de la loi insidieuse de Briand par l’encyclique du 11 février. C’est une bataille serrée où se joue la vie de l’Église.
Quelques catholiques ont essayé d’empêcher l’action de Pie X, mais, dans des circonstances si graves, l’assistance de la Providence ne pouvait pas lui manquer, c’est lui qui a gagné la bataille. L’Italie catholique est plus vaillante que nous sous beaucoup de rapports. En politique, il est vrai, elle a faiblement lutté pour l’indépendance du Pape, la grande unité nationale était si séduisante !
Mais dans la vie sociale, elle se porte à la défense de tous les points attaqués, et elle fait reculer la Franc-maçonnerie. Tous les projets de séparation de l’Église et d’organisation de sociétés cultuelles ont avorté depuis quarante ans. Un projet de loi sur le divorce a été écarté grâce à une levée de boucliers formidable de tous les groupements sociaux, des paroisses, des corporations, de la presse, des familles.
Aujourd’hui, la Franc-maçonnerie a mobilisé son armée contre un autre rempart de l’Église, l’enseignement chrétien. Tous les catholiques se portent vers la brèche. Cent mille pétitions arrivent au Parlement. Les députés sont assaillis de lettres, de dépêches, de prières, de menaces. Des meetings paroissiaux innombrables envoient leurs injonctions ou leurs défis aux députés de leur région. Le général en chef des assaillants, le grand maître de l’Ordre maçonnique, Ettore Ferrari, voyant la bataille compromise, vient de lancer à ses troupes, aux députés maçons, cet appel suprême :
CABINET DU GRAND MAÎTRE Rome le 12 février 1908
Illustrissime et cher Frère,
Dans l’imminence de la discussion sur le projet de loi Brissolati [Bissolati], laissez-moi vous rappeler ce que je vous écrivais déjà le 23 février de l’an dernier, et vous exhorter à voter, selon votre programme, pour l’école absolument et intégralement laïque.
Dans la confiance que vous accueillerez mon conseil, agréez mes saluts fraternels.
Le Grand Maître,ETTORE FERRARI (Cité par le Corriere d’Italia, 25 février 1908).
Les catholiques d’Italie l’emporteront encore cette fois, mais les assauts se renouvelleront, toujours conformément au programme. La circulaire montre que c’est la Franc-maçonnerie qui a préparé cette campagne depuis un an déjà, conformément à son programme.
La lutte se continuera, mais puisque nous sommes avertis, combattons vaillamment, par la presse, par les réunions, par toutes les démonstrations possibles. Réclamons la liberté de l’enseignement chrétien, la liberté entière du culte catholique avec la propriété de ses biens, la liberté de la vie religieuse. Répétons sans cesse que l’État, comme les individus, doit respect et honneur à Dieu, et qu’une nation où il y a tant de catholiques doit s’entendre avec le Saint-Siège, pour le bien des deux pouvoirs, pour donner la paix aux âmes et pour favoriser la morale publique qui est si avantageuse à l’État lui-même.
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Le cycle des épreuves n’est pas clos. La secte voulait mettre en lutte les laïques et les prêtres, pour préparer 1a désorganisation de l’Église. Pie X a déjoué ses projets, elle se vengera. Briand et ses successeurs achèveront de nous dépouiller. Les églises nous seront enlevées, elles seront mises à la disposition des communes. Pour en garder une partie à notre usage, il faudra les louer. D’autres vexations viendront encore, mais Pie X a sauvé notre unité morale et notre hiérarchie divine, ce qui vaut mieux que tous les biens matériels.
Source : Le plan de la Franc-maçonnerie – Bienheureux Léon Dehon – 1908