Le Pape François abandonne-t-il les catholiques européens et américains ? Il a laissé perplexe de nombreux catholiques dévots et ardents dans le monde entier par son apparente désaffection pour les luttes contre l’avortement et le mariage homosexuel.
Luttes auxquelles ces catholiques, qui peuvent à juste titre être décrits comme les plus catholiques des catholiques, ont consacré leur temps, leur énergie, leur argent, leur travail et leurs prières. Mais le pape, peu de temps après être devenu le chef de l’Église catholique, nous a dit que nous ne devions pas « insister » ou « être obsédés » par ces choses.
Bien qu’il n’approuve évidemment pas l’avortement ou l’homosexualité (il ne le pourrait guère, étant donné l’enseignement catholique séculaire selon lequel ce sont de grands péchés), le pape lui-même ne semble certainement pas avoir une obsession anti-avortement ou anti-homosexualité. Si le pape a une quelconque obsession, c’est une obsession pour la pauvreté, l’immigration et le capitalisme débridé.
Il y a peu, François a confirmé les pires craintes de nombreux catholiques orthodoxes en décourageant la messe en latin dans son motu proprio Traditionis custodes – une forme de messe favorisée et soutenue par des laïcs qui semblent être bien au-dessus de la moyenne dans leur engagement envers le catholicisme, ses croyances et ses pratiques. De plus, François semble, du moins pour les très orthodoxes, être « mou » dans sa croyance en l’indissolubilité du mariage.
De nombreux catholiques de la vieille école soupçonnent, et certains en sont absolument convaincus, que François est cette chose horrible, un catholique libéral ou progressiste. André Gide a écrit un roman (Les Caves du Vatican, en anglais Lafcadio’s Adventures) – un roman tour à tour comique et sérieux – dans lequel beaucoup de pieux catholiques français étaient persuadés que les francs-maçons avaient réussi à enlever le vrai pape du trône de Pierre et à le remplacer par un franc-maçon qui se faisait passer pour le pape.
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Cette atténuation de la lutte contre l’avortement et le mariage homosexuel, combinée à sa critique économique du capitalisme non réglementé, et encore combinée à son enthousiasme pour la protection de l’environnement, a rendu le pape François très populaire précisément auprès des catholiques qui n’avaient que faire de ses deux prédécesseurs immédiats, le pape Saint Jean-Paul II et le pape Benoît XVI. Actuellement, les plus grands fans du pape se trouvent parmi les catholiques théologiquement libéraux (dont beaucoup sont d’une orthodoxie douteuse) et parmi les athées et semi-athées purs et simples.
« Le pape ne se rend-il pas compte, se demandent de nombreux catholiques fervents, que l’avortement et le mariage homosexuel, en plus d’être intrinsèquement mauvais, sont utilisés par les ennemis de Dieu pour saper et détruire l’Église ? Ne réalise-t-il pas qu’un échec dans la lutte contre ces maux conduira à la défaite de notre religion ?«
Et ils ajoutent parfois : « Si François a un esprit vraiment catholique, comment a-t-il pu nommer le père James Martin, SJ à un poste honorable au Vatican ?« .
Je suis en sympathie avec ces catholiques ardents, mais je pense qu’il y a une méthode dans la folie apparente du pape. Pour expliquer ce qu’il manigance, je propose l’hypothèse suivante. Veuillez noter qu’il s’agit d’une simple hypothèse.
Dès le début de son mandat sur la Chaire de Pierre, le Pape François a décidé – malgré tous les discours sur l’évangélisation – que le catholicisme est pratiquement une cause perdue dans les pays où la culture hautement sécularisée de la modernité a prévalu, c’est-à-dire les pays continentaux européens et le monde anglophone. Le catholicisme survivra bien sûr dans ces endroits. Et qualitativement parlant, ce sera un excellent type de catholicisme, car les catholiques de ces endroits seront ceux qui adhèrent à l’ancienne foi par choix et par conviction, et non pas simplement, par une sorte d’inertie familiale. Mais quantitativement parlant, le catholicisme sera une chose mineure dans ces endroits, quelque chose comme la religion copte en Égypte. La « foi » dominante dans ces pays hautement modernisés sera l’humanisme laïque (ou athée).
Le pape a en outre décidé, à mon avis, que l’avenir quantitatif de l’Église catholique se trouve dans des endroits comme l’Amérique latine, l’Afrique subsaharienne et même l’Inde. Et dans ces pays, le plus grand danger pour la foi n’est pas l’avortement ou l’homosexualité (aussi méchants soient-ils), mais la pauvreté et la mauvaise répartition des revenus et des richesses. Car si le catholicisme ne peut rien faire ou presque pour améliorer la condition matérielle et temporelle des pauvres, ceux-ci abandonneront l’Église catholique. Ainsi, l’Église, si elle veut prospérer, doit être l’Église des pauvres et le grand champion de la justice sociale.
Le pape ne s’opposera donc pas à ce que nous, catholiques dévots, continuions à lutter contre l’avortement et le mariage homosexuel. Que Dieu vous bénisse dans cette lutte, dira-t-il. Un tel combat (qui n’est pas terminé ici comme il l’est le plus souvent ailleurs) servira à purifier le catholicisme Européen et Américain alors qu’il se dirige vers sa destinée ultime, celle d’un « reste salvateur« . Mais le véritable avenir de l’Église se trouve dans le tiers-monde, et c’est de cela que le pape François – et ses successeurs en tant qu’évêque de Rome – devront s’occuper avant tout.
Dans un siècle ou deux, le siège de l’Église ne sera peut-être pas à Rome mais au Nigeria. Toutefois (et c’est là la bonne nouvelle !), les trésors artistiques du Vatican seront laissés derrière pour le plaisir et l’édification des athées anglo-européens cultivés. Mieux encore (parce que son attrait est plus démocratique), Saint-Pierre sera transformé en l’une des grandes enceintes sportives d’Europe.
Je pense que c’est ce que le pape François a à l’esprit. A-t-il raison dans son évaluation de l’avenir de l’Église ? Ah, c’est une autre question. Je ne connais pas la réponse, mais le temps nous le dira.
David Carlin sur TheCatholicThing