Car l’Église romaine est une dans sa doctrine. Que l’on parcoure la terre d’un bout à l’autre, on entendra chanter et professer le même Credo par tous ceux que cette Église regarde comme ses enfants ; tous admettent les mêmes préceptes, le même sacrifice, les mêmes sacrements.
Si l’on remonte le cours des âges jusqu’aux temps apostoliques, on constatera la même identité de doctrine. Jamais on n’a montré que l’Église romaine ait cessé d’enseigner un seul dogme contenu dans les écrits apostoliques, ou qu’elle ait admis un point doctrinal en contradiction avec ces écrits. Le concile de Nicée, par exemple, n’a pas créé le dogme de la divinité de Jésus-Christ lorsqu’il a défini contre les Ariens la consubstantialité du Verbe, pas plus que le concile de Trente n’a créé le dogme de la transsubstantiation eucharistique quand il l’a défini contre les protestants.
C’est au contraire parce que ces dogmes ont toujours été crus dans l’Église, que ces conciles ont pu les définir. Ainsi, il y a quelques années, lorsque l’Église a déclaré articles de foi l’immaculée conception de Marie et l’infaillibilité du Pontife romain, elle n’a pas ajouté des articles nouveaux à sa doctrine ; elle a éclairé des points de l’antique doctrine que des controverses avaient obscurcis, mais qui, explicitement ou implicitement, étaient contenus dans le dépôt de la révélation.
REMARQUE. Si le dogme est immuable, comme la vérité, cette immobilité n’exclut pas le progrès. Ce progrès dans l’Église n’est autre chose que le développement des principes posés par Jésus-Christ. Ainsi, par exemple, l’Église a déclaré ou défini, dans trois conciles successifs, qu’il y a en Jésus-Christ une seule personne, deux natures, deux volontés. Ces trois définitions ne sont que le développement logique d’une même vérité qui, sous sa forme primitive, sous sa forme révélée, a été connue et enseignée de tout temps : Jésus-Christ est à la fois vrai Dieu et vrai homme.
La loi du développement des dogmes chrétiens a été remarquablement saisie et très heureusement formulée par S. Vincent, religieux au monastère de l’île de Lérins, dans la première moitié du cinquième siècle. Ce savant écrivain commence par établir que l’Écriture Sainte, malgré la divinité de son origine, ne peut être à elle seule la source de la foi.
« À raison de sa sublimité même, tous ne l’entendent pas dans un seul et même sens, mais chacun en interprète à sa façon les oracles ; d’où il semble qu’on puisse en tirer autant de systèmes qu’il y a d’hommes. »
C’est donc du côté de la tradition qu’il faut se tourner, et « dans l’Église catholique elle-même, il faut avoir le plus grand soin de s’en tenir à ce qui partout et toujours a été cru par tous ». (Commonitoire, II)
Or, c’est précisément l’objet de cette foi commune à tous qui se développe sans cesse « par progrès véritable et non par changement. Il faut que la religion des âmes se comporte à la manière des corps qui, avec le cours des années, développent et étendent leurs membres, sans cesser pourtant de rester les mêmes. Il convient que le dogme de la religion chrétienne suive les lois du progrès, qu’il s’affermisse avec les années, s’élargisse avec le temps, s’élève avec les âges, tout en se préservant des atteintes de la corruption et de la souillure. Il faut qu’il se complète et se perfectionne dans toutes les proportions de ses parties, et pour ainsi dire dans ses membres et ses organes particuliers. Il faut en outre qu’il n’admette aucun changement, qu’il ne perde rien de ce qui lui appartient et ne se prête à aucune modification dans ce qui a été fixé. » (Commonitoire, XXIII)
B. L’ÉGLISE ROMAINE EST UNE DANS SON MINISTÈRE. — Rien de plus visible et de plus facile à reconnaître. L’unité de foi, que nous venons de constater, est maintenue dans l’Église par un ministère unique, invariable et parfaitement connu. L’action de ce ministère, douce et forte à la fois, part de Rome, centre du gouvernement, et s’en va, par l’intermédiaire des évêques et des pasteurs subordonnés, à travers toutes les régions du globe, atteindre jusqu’au dernier des membres qui composent l’Église.
Les simples fidèles sont unis à leurs pasteurs immédiats, ceux-ci à leurs évêques ; les évêques, en communion entre eux, le sont avec le Pape, de qui ils tiennent leurs pouvoirs. C’est la réduction de la multiplicité la plus compliquée à l’unité la plus merveilleuse. Ici encore existe un principe qui maintient cette unité : celui qui refuse de se soumettre à l’autorité des pasteurs légitimes est exclu du sein de l’Église.
Cette unité de ministère ou de gouvernement, que nous admirons aujourd’hui, l’histoire nous la montre dans toute la suite des siècles chrétiens. Elle est immuable, parce qu’elle est d’institution divine. — Il n’en est pas de même des lois disciplinaires : établies par l’autorité ecclésiastique, elles peuvent varier avec les circonstances ; la prudence exige même qu’elles soient modifiées ou abolies selon les besoins des temps. Le culte aussi peut subir certaines modifications dans les rites ou cérémonies accessoires, bien qu’il reste toujours le même dans les choses essentielles, établies par Jésus-Christ lui-même.
OBJECTION. À l’époque du grand schisme d’Occident, de 1378 à 1417, il y a eu deux papes à la fois : d’un côté Urbain VI à Rome, de l’autre, Clément VII à Avignon ; puis leurs successeurs respectifs.
Parmi les nations chrétiennes, les unes suivaient l’obédience d’Urbain, les autres, celle de Clément. L’Église n’a-t-elle donc pas été privée, pendant près d’un demi-siècle, de l’unité de gouvernement ?
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RÉPONSE. Il est vrai que durant ce temps l’unité matérielle du gouvernement a manqué à l’Église romaine, mais l’unité formelle ou essentielle n’a pas cessé d’exister. Pas plus qu’aujourd’hui, il n’y avait alors deux papes légitimes. Seulement, par suite de diverses circonstances, on ne voyait pas clairement lequel était le véritable chef suprême ; de là une funeste division. Cependant les catholiques souffraient cruellement d’une situation qu’ils savaient être opposée à la volonté de Jésus-Christ. Des deux côtés, on rechercha la vérité, et on ne se donna nul repos, jusqu’à ce que tout doute fût dissipé, et que l’Église entière fût replacée sous la conduite de Martin V, élu en 1417 au concile de Constance.
Loin donc que ce schisme — qui s’explique facilement par une erreur dans une question de fait — nuise à notre thèse, il prouve au contraire le profond esprit d’unité qui animait les membres de l’Église entière. Nul n’admettait l’existence simultanée de deux chefs légitimes ; chacun était convaincu qu’il n’y en avait et qu’il ne pouvait y en avoir qu’un seul.
Mais quel était en ce moment ce chef unique ? Il y avait doute. Évidemment une partie de la chrétienté se trompait dans son choix ; mais elle se trompait de bonne foi, et l’on pouvait être en sûreté de conscience dans l’une et dans l’autre obédience.
Source : Cours d’apologétique chrétienne – P. W. DEVIVIER S. J. – 1907