Les jacobins et leur plaisir d'humilier les prêtres
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Les jacobins et leur plaisir d’humilier les prêtres


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Dans les jours où les jacobins dominaient parmi les gardes, leur plus grand plaisir était de visiter les prêtres endormis, et de les réveiller en sursaut, quelquefois en faisant semblant de les tuer.

Alors, ils leur mettaient la baïonnette sur le corps avec un air et un ton menaçant, en disant, à l’un :

« Tu n’es pas assez gras, je reviendrai, et te tuerai quand tu seras meilleur à manger »

À un autre :

« Non, ta tête jouera mieux sous la guillotine.« 

D’autres fois, pour les faire jeûner, ils défendaient l’entrée à ceux qui leur portaient des provisions, et les gardaient pour eux. Au nombre de ces prêtres était M. Beucher, qui avait été marié avant de prendre l’état ecclésiastique. Mademoiselle Beucher, sa fille, venait assidûment lui apporter à manger. Un jour qu’elle accourait pour remplir ce devoir de la piété filiale, il plut aux gardes de l’arrêter.

Elle presse, et conjure, qu’on ne la prive, ni du plaisir de nourrir son père, ni de la consolation de le voir. Les cruels la repoussent et s’obstinent, présentent leurs baïonnettes, menacent de la tuer, si elle ne se retire.

« Vous pouvez me tuer, tigres féroces, mais vous ne me forcerez pas à m’en aller sans avoir vu mon père, et sans lui avoir porté son dîner. Monstres ! dans le fond des cachots, les criminels reçoivent librement leur nourriture !

On les voit, on les visite, et vous m’empêcheriez de secourir mon père ! Frappez, monstres ! frappez, ou je mourrai ici, ou je verrai et je nourrirai mon père ! »

Les cris de cette digne enfant, et ceux des gardes qui la repoussent, ont fait approcher quelques prêtres, et avec eux M. Beucher, il reconnaît la voix de sa fille, et accourt. Elle le voit, elle s’élance à travers les baïonnettes, et se jette à son cou en criant :

« O mon père, mon père ! »

Les tigres la poursuivent, essaient vainement de l’arracher des bras de son père. D’honnêtes citoyens heureusement arrivent, et il faut toutes leurs instances, toute leur indignation, pour empêcher que le père et la fille ne soient accusés et punis d’avoir forcé la garde. Sur la première nouvelle de l’arrêté qui confinait à Laval les prêtres non assermentés, les habitans de Chammes crurent devoir protester contre un ordre si arbitraire.

Dès le commencement de la révolution, ils avaient montré toute leur aversion pour le schisme. Au lieu de reconnaître pour curé le sieur Vallée, apostat Bernardin, ils l’avaient menacé de le poursuivre juridiquement, s’il ne se justifiait d’un vol de trente mille livres. L’apostat avait jugé plus à propos de se retirer, le vrai pasteur, nommé M. Barrabé, était resté, quatre cents brigands s’avancent pour l’enlever, les habitants de Chammes, unis à quelques autres paroisses, s’arment contre eux, et vont ensuite présenter au district d’Evron une pétition constitutionnelle sur la liberté des cultes.

Le district promet tout. Peu de jours après, des cohortes nombreuses de nationaux et de brigands se montrèrent tout-à-coup à Chammes. Le zèle des paroissiens sauve le pasteur, mais la paroisse est livrée à mille horreurs, douze citoyens, battus et garrottés, sont conduits au district. Ne pouvant les convaincre d’aucun crime, on les traîne de prisons en prisons. On veut au moins qu’ils prêtent le serment. Un officier national met le sabre sur la gorge d’un de ces catholiques, nommé Gouyet, le menace de lui couper le cou, s’il ne jure. Ce brave homme répond :

« Je suis catholique, toutes tes menaces ne feront pas de moi un apostat. »

De tribunaux en tribunaux, ils sont tous conduits à Laval. Là, tout ce qu’on exige d’eux, c’est qu’ils déposent contre leur pasteur, ils ont été deux mois en prison, ils y restent encore quatre, en protestant toujours qu’ils n’ont reçu de ce pasteur que les leçons et les exemples qu’il devait leur donner. La procédure enfin se tourne contre le pasteur même, et quoiqu’il soit absent, tout le crime qu’on se permet de lui imputer, est de n’avoir prêté le serment qu’avec des restrictions, en faveur de la religion. Pour ces restrictions, il est condamné, avec son vicaire, à quatre heures de carcan. Ses bons paroissiens l’avaient soustrait au district d’Evron ; il fut soustrait de même aux municipes de Laval.

Le Finistère, département faisant partie de la Bretagne, n’avait pas attendu les emprisonnement d’Angers et de Laval, pour renouveler les siens.

Dès le trente novembre, il en était parmi un nouvel ordre, pour arrêter et conduire à Brest tous les prêtres non assermentés, comme suspects d’incivisme. Ceux que l’amnistie générale avait forcé d’élargir deux mois avant, furent spécialement compris dans l’ordre. Les districts s’étonnèrent d’une violation si révoltante des lois, qui, même en les supposant coupables, ne permettaient pas que l’on revînt une seconde fois sur leur prétendu crime. Les districts n’en montrèrent pas moins la soumission à l’arrêté du département.

La recherche se fit avec encore plus de rigueur que la première fois, la féroce populace des ex-galériens n’en montra que plus de joie, en voyant arriver les prêtres au milieu des soldats nationaux, elle n’en fit que plus d’efforts pour en arracher plusieurs, les déchirer, ou les suspendre à ses lanternes. La première captivité en avait renfermé soixante-dix aux Carmes, celle-ci fut plus nombreuse, et le château de Brest succéda à la prison des Carmes.

Dans l’hôpital de ce fort, la salle la plus infecte, celle qui recevait par des soupiraux toute l’exhalaison des maladies et des honteuses pourritures de la débauche, celle qui recevait, par ces canaux impurs, des propos plus immondes encore que les plaies de ces infâmes victimes de Vénus, celle qui transmettait immédiatement aux oreilles des prêtres, et les cris forcenés, et les blasphèmes d’une populace brute dans son libertinage, brute dans son impiété, et brute sous l’ulcère qui punit l’un et l’autre, la salle au-dessus des vénériens fut choisie de préférence, pour être la prison des nouveaux confesseurs.

Quatre-vingts prêtres y furent enfermés. On leur donna des lits étroits et courts : entassés les uns sur les autres, ils y passèrent à la fois l’hiver et l’été, les croisées ouvertes la nuit comme le jour. Leur nourriture fut livrée au rabais, et l’art de l’avarice fut mis tout entier à leur en donner précisément assez pour ne pas mourir de faim, mais trop peu pour ne pas en souffrir le supplice.

Les jours maigres, on leur refusa la consolation de pouvoir observer dans leurs repas la coutume de l’Église. Pendant quatre mois entiers, ils furent tous privés du saint sacrifice. Les malades, et on conçoit qu’il y en eut beaucoup, eurent pour infirmerie une seconde salle tout aussi révoltante, infecte et inconfortable que la première. Cependant, un seul y trouva avec la mort la consommation de son sacrifice. D’autres y contractèrent des infirmités habituelles, y perdirent la vue. Jamais ils n’eurent la permission de sortir, de prendre l’air ou de recevoir la visite de leurs proches. Un juge du premier tribunal avait fait demander au roi l’ordre d’élargir son fils, mais l’ordre fut donné, réitéré, et jamais exécuté.

La résignation, l’édification de ces captifs triomphèrent de ceux que leurs vices seuls confinaient dans la salle intérieure. D’abord, c’étaient des injures atroces que ceux-ci vomissaient à travers un plancher tout ouvert, qui séparait seuls les confesseurs et les vénériens. Ces malheureux se lassèrent d’insulter à tant de piété et de patience. Ils écrivirent aux confesseurs de Jésus-Christ, les suppliant d’oublier ces injures, et se recommandant à leurs prières. Les prêtres répondirent par des exhortations à réparer la vie passée, à éviter les châtiments éternels, en supportant avec patience ceux de ce monde. Ceux à qui il restait quelque argent, réunirent leur bourse, et accompagnèrent la réponse de tout ce que la charité pouvait soustraire à leurs propres besoins.

Le directoire de Lille et Villaine ne le cédait guère aux autres départements, quand il était question de sévir contre les prêtres catholiques. Il crut avoir trouvé une meilleure tournure pour les rendre suspects d’incivisme. Vers le temps de la Pâque aussi, il ordonna à tous les prétendus réfractaires de comparaître chacun devant leurs officiers municipaux, et de jurer au moins qu’ils ne prêcheraient jamais, en aucune manière, contre la constitution civile du clergé, qu’ils ne détourneraient, ni par discours, ni par écrit les fidèles d’aller aux offices constitutionnels. Ceux qui refuseraient le nouveau serment avaient ordre de se rendre à Rennes, chef-lieu du département, d’y déclarer aux municipes leur nom, surnom et logement.

Les prêtres destinés à prêcher l’évangile, les pasteurs obligés de détourner leurs ouailles des voies de l’hérésie et du schisme, ne font pas serment de les laisser s’égarer sans les avertir des dangers de l’erreur. Il est des circonstances où un ministre de l’autel peut et doit observer un silence prudent, il n’en est point où il doive rougir de Jésus-Christ, et promettre de ne plus travailler à le faire connaître, il n’en est point qui puissent autoriser un chrétien quelconque à jurer que jamais, il ne détournera personne par écrit, paroles ou exemple, de sa perte éternelle.

Les prêtres, qui avaient refusé le serment de l’assemblée, témoignèrent la même horreur pour celui du département. Ils admirèrent encore une constitution qui annonçait à tous comme inviolable le droit de parler et d’écrire, de publier très-librement chacun ses opinions, même religieuses, et pour le maintien de laquelle on leur défendait de communiquer, en aucune sorte, leur foi religieuse.

Ils choisirent d’être enfermés dans Rennes, et d’y comparaître chaque jour à l’appel nominal. Ils y trouvèrent dans chaque rue des commissaires chargés de les surveiller, de faire même chez eux des visites domiciliaires. Toute cette sévérité ne donna pas un jureur de plus aux municipes. L’exemple des prêtres ajouta à la constance des citoyens de Rennes, en grand nombre attachés à l’ancienne religion. On permettait encore à quelques-uns de ces prêtres non-assermentés de dire la messe dans une église. Au moment où cette messe se célébrait, les peuples accouraient, aussi bien de la ville que des campagnes, pour l’entendre, leur piété, leur édification égalaient leur empressement.

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Ce spectacle déplaisait aux intrus qui se voyaient abandonnés. Le club des jacobins promit de les servir, il demanda que tous les prêtres non assermentés fussent renfermés comme ceux de Brest, de Laval et d’Angers. Le département, qui voulait sembler plus tolérant, se contenta de l’arrêté suivant :

« Les prêtres réfractaires, qui se réuniront, soit dans les rues, soit dans les maisons, au nombre de plus de trois, seront incarcérés. Tous les ecclésiastiques se présenteront deux fois par jour à l’hôtel-de-ville, le matin pour y inscrire leur nom, le soir pour y répondre à l’appel nominal. Les commissaires iront dans les maisons prendre les noms des infirmes et des malades. »

Le nouvel arrêté fut ponctuellement suivi. On n’entendit pas un seul murmure, on ne vit pas les prêtres se lasser de comparaître. Dans les endroits où les jacobins ne purent obtenir ces dispositions tyranniques de la part des départements, ils tâchèrent au moins de s’en dédommager par des vexations particulières, que secondait, presque partout, la fureur des municipes, malgré la paix et la tranquillité des peuples attachés à l’ancien culte.

Source : Histoire du clergé pendant la révolution française – Abbé Barruel – 1801

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