L’orgueil est un mépris des hommes, la cause et le principe des jugements téméraires et des condamnations injustes, l’enfant impur des louanges, la marque d’une funeste stérilité dans les âmes, l’obstacle à l’effusion des dons célestes, l’avant-coureur de l’endurcissement du cœur, la cause féconde des plus grandes fautes, le foyer ou la matière de l’épilepsie, spirituelle, la source intarissable des colères, la porte de la dissimulation et de l’hypocrisie, le plus fort retranchement des démons, le fidèle gardien et le conservateur opiniâtre de nos péchés ; la cause funeste de l’inhumanité et de l’inflexibilité du cœur, l’extinction de tout sentiment de piété et de compassion et l’auteur des lois dures et sévères. L’orgueil est un juge impitoyable, un mortel ennemi de Dieu, et la racine infâme de tous les blasphèmes.
Le dernier degré où puisse parvenir la vaine gloire, donne l’existence à l’orgueil ; le mépris des autres, l’insolente ostentation des travaux qu’on endure, l’amour des louanges et l’aversion pour les réprimandes, sont la nourriture qui lui donne les accroissements auxquels il veut parvenir ; enfin le renoncement aux grâces et aux secours de Dieu, une présomptueuse confiance en ses propres forces, des inclinations diaboliques forment l’effrayante perfection de l’orgueil.
Voulons-nous éviter de tomber dans l’abîme que nous a creusé le démon de l’orgueil ? faisons d’abord attention que c’est par les actions de grâces que nous rendons à Dieu, qu’il a coutume de se glisser et d’établir sa demeure dans nos cœurs ; car il est trop rusé et trop bien avisé pour nous porter tout d’un coup à renoncer à Dieu. J’en ai vu plusieurs qui, tandis que de bouche ils-rendaient grâces à Dieu, s’élevaient intérieurement contre lui par des pensées de vanité.
Nous avons un exemple bien frappant de ces sortes de personnes dans le pharisien de l’Évangile. N’était-ce pas de bouche, et non du fond de son cœur, qu’il disait à Dieu :
« Seigneur, je Te rends grâces. » (Lc 18,11) ?
Si nous voyons une âme faire quelque chute, nous pouvons hardiment prononcer que l’orgueil était dans son cœur et que ses fautes sont les tristes conséquences de ce vice. Nous comptons douze vices qui couvrent notre âme de honte et d’ignominie. Or un grand personnage m’a dit que l’orgueil, qui est le douzième, pouvait, lui seul, occuper dans une âme la place des onze autres.
Un moine orgueilleux est toujours en opposition et en contradiction avec ses frères ; mais celui qui pratique l’humilité, est dans des dispositions contraires. Les cyprès poussent toutes leurs branches en haut, et ne les abaissent jamais vers la terre ; or tels sont les personnes dominées par l’orgueil : elles ignorent ce que c’est que de plier sous le joug de l’obéissance. L’homme superbe veut absolument dominer sur ses semblables ; et, quoiqu’il sache que cette domination le conduit à une perte certaine, il aime mieux périr que de ne pas dominer.
Or puisqu’il est écrit que « Dieu résiste aux superbes. » (Jac 4,6), qui est ce qui pourrait avoir pitié et compassion de ces misérables ? Puisqu’ils sont abominables aux Yeux du Seigneur, tous ceux que l’orgueil souille et profane, qui oserait espérer de pouvoir les purifier ?
Les réprimandes et les corrections qu’on leur fait, ne sont pour eux que des occasions funestes de nouvelles chutes, les tentations du démon les poussent sans cesse dans de nouveaux péchés, et l’abandon de Dieu achève d’endurcir leur cœur. Les hommes ont encore assez souvent obtenu la guérison des deux premiers maux spirituels, c’est-à-dire de la résistance aux corrections, et des tentations des démons ; mais peut-on en dire autant de l’endurcissement du cœur, qui est humainement incurable ?
Quiconque a de l’aversion pour les réprimandes et ne peut les souffrir, prouve que l’orgueil lui ronge le cœur. Celui, au contraire, qui, par amour les recherche, montre qu’il est heureusement exempt de ce vice.
Si l’orgueil, tout seul, a pu faire tomber Lucifer du plus haut êtes cieux dans l’abîme de l’enfer ; l’humilité, toute seule, ne serait-elle pas capable de nous élever jusqu’aux splendeurs célestes ?
L’orgueil nous plonge dans la plus affreuse des misères ; car il nous dépouille honteusement du mérite et du fruit de nos travaux et de notre pénitence. « Ils ont poussé des cris pour demander du secours ; mais personne ne s’est présenté pour les sauver. » (Ps 17,42) Et encore : « Ils se sont adressés directement au Seigneur, et le Seigneur ne les a point exaucés. » (Ibid.).
Or, ce malheur ne leur est, sans doute, arrivé que parce qu’ils ne se sont pas mis en peine de travailler avec humilité à écarter d’eux la cause funeste des maux dont ils demandaient la délivrance.
Un vieillard très versé dans la science des choses spirituelles exhortait un jour avec beaucoup de charité un frère rempli d’orgueil, à combattre courageusement ce vice, et à pratiquer la sainte humilité. Or voici la réponse que cet insensé lui fit :
« Vous vous trompez, mon père ; je ne suis pas ce que vous croyez : non, je vous l’assure, je ne suis pas un orgueilleux. »
Mais ce vieillard plein de sagesse lui répliqua aussitôt :
« Mon Fils, pourriez-vous nous donner une preuve plus évidente que vous l’êtes, qu’en nous assurant que vous ne l’êtes pas ? »
Il est donc pour ceux qui sont sujets à l’orgueil, d’une extrême importance d’avoir un sage et prudent directeur, de choisir le genre de vie le plus commun et le plus méprisable, de lire assidûment et de méditer souvent les beaux exemples des saints, et d’avoir sans cesse sous les yeux les actions qu’ils ont faites, quand même elles sembleraient être au-dessus des forces de la nature humaine ; c’est du moins, en se servant de ces différents moyens, que les malheureux esclaves de l’orgueil pourront avoir quelque espérance de se voir délivrés de ce vice.
C’est une honte pour nous que de nous glorifier des choses qui ne sont pas à nous ; mais y a-t-il moins de honte de nous enorgueillir des dons que nous avons reçus de Dieu ? N’est-ce pas là une action qui annonce le dernier degré de la folie ? Si vous voulez vous glorifier, faites-le ; mais que ce soit des actions que vous avez faites avant de naître ; car, pour celles que vous avez faites depuis votre naissance, elles sont des dons de Dieu aussi bien que votre existence.
Si vous le voulez, pour être votre ouvrage, les vertus que vous avez pratiquées, avant la réunion de votre âme avec votre corps ; mais celles que vous avez pratiquées depuis, sont des faveurs de la Bonté du Seigneur, aussi bien que votre âme ; et si vous avez soutenu quelques combats, et fait quelques efforts, sans que votre corps n’ait eu quelque part à ces efforts et à ces combats, je consens encore que, vous vous en attribuiez à vous seul le mérite et la gloire ; mais votre propre corps n’a-t-il pas toujours été l’instrument par lequel vous avez pratiqué telle ou telle vertu, et fait telle ou telle bonne œuvre?
Or sûrement votre corps ne vous appartient pas ; il est à Dieu, c’est Lui qui vous l’a donné. Vos travaux, vos efforts et les effets qu’ils ont produits, tout dans vous doit donc être rapporté à Dieu, comme des choses qui Lui appartiennent essentiellement. Ne cessez de vous défier de vous-même et de vos propres forces que lorsque le souverain Juge aura prononcé votre sentence ; car vous voyez dans l’Évangile que celui-là même qui avait déjà pris place à la table du festin des noces, fut chassé de la salle, et qu’on ordonna que, les pieds et les mains liés, il fût jeté dans les ténèbres extérieures (cf. Mt 22,13).
Ne vous élevez pas dans votre cœur, vous qui n’êtes que boue et corruption ; rappelez-vous qu’une infinité d’esprits célestes, créés dans la sainteté, ont été impitoyablement chassés du ciel à cause de leur orgueil. Quand une fois le démon a pu établir sa demeure dans le cœur de ceux qu’il a soumis à ses volontés, il leur apparaît pendant leur sommeil, et même pendant leur réveil, tantôt sous la figure d’un ange, tantôt sous la figure d’un martyr, alors il leur révèle quelque secret mystérieux, fait semblant de leur donner quelques grâces précieuses.
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C’est ainsi qu’en trompant ces misérables, et en leur ôtant un reste de foi et de raison, il achève de les perdre. N’oublions jamais que quand même nous aurions souffert mille morts pour l’amour du Christ, nous serions encore bien loin d’avoir pu acquitter ce que nous Lui devons, car il y a une différence infinie entre le sang d’un Dieu et celui des serviteurs de Dieu : c’est la dignité, et non la substance de ce sang, qu’il faut considérer.
Au reste, si nous prenons peine de nous examiner attentivement, et que nous comparions seulement la vie que nous menons avec la vie de nos pères qui ont vécu avant nous, lesquels nous présentent, dans leurs personnes, des modèles si excellents des plus rares vertus, et ont brillé, dans leur siècle, comme des astres radieux, nous serons forcés d’avouer que nous n’avons réellement pas fait un pas pour marcher sur leurs traces ; que nous sommes bien peu fidèles aux engagements de notre sainte vocation, et que nous ne continuons que trop à mener une vie mondaine et profane.
Un bon et véritable moine est celui dont l’esprit et le cœur ne s’élèvent jamais par des pensées et des sentiments de vanité, et dont les sens ne sont point émus par la vile et la présence des objets sensibles. Regardez du même œil celui qui, lorsqu’il voit ses ennemis, les provoque au combat, et lorsqu’il les voit fuir devant lui, les poursuit comme des bêtes sauvages.
Celui qui est continuellement ravi en Dieu, et qui, par le désir de s’unir plus intimement à Lui, voit avec peine ses jours prolonger. Celui à qui la pratique de la vertu est devenue aussi naturelle et familière, qu’aux mondains et à ceux qui leur ressemblent, la jouissance corruptrice des plaisirs des sens.
Source : Saint Jean Climaque – L’échelle Sainte