Tout d’abord, il est clair qu’il ne s’agit pas ici des conditions relevant de l’ordre physique et matériel, ni des fluctuations politiques. Le titre même de ce texte indique qu’il est question de conditions plus élevées, celles qui, liées à l’ordre moral et supérieur, ont le pouvoir d’attirer la miséricorde divine en faveur d’une nation coupable et d’obtenir sa guérison.
Parmi ces deux types de conditions, les premières sont essentiellement spécifiques et variables, variant en fonction du tempérament des peuples, de leur histoire, de leurs traditions, du type de maladie dont ils souffrent, des circonstances du moment, ainsi que du regard, de l’habileté et de l’énergie de leurs dirigeants.
En revanche, les secondes sont stables et universelles, appartenant au domaine moral et applicables à tous les peuples.
Maintenant que le domaine de ces conditions est clairement défini, précisons-les. Elles se résument en trois principes, dont deux sont particulièrement évoqués dans l’Ancien Testament, tandis que le troisième est mentionné dans le Nouveau Testament. Les deux premières ont été utilisées pour apaiser Dieu après qu’il ait manifesté, par le prophète Jonas, son intention de détruire Ninive. Ces deux conditions ont été prescrites dans une ordonnance royale par le souverain de Ninive de l’époque, probablement Binnirar, assisté de tous ses ministres.
Voici le texte authentique de cette ordonnance, précieux à plusieurs égards :
« Que les hommes, les chevaux, les bœufs et les brebis ne goûtent de rien, ne paissent pas et ne boivent pas d’eau. Que les hommes et les bêtes se couvrent de sacs, et qu’ils crient au Seigneur avec force. Que chacun se convertisse, qu’il quitte sa mauvaise voie et l’iniquité qui est sur ses mains. Qui sait si Dieu ne se retournera pas vers nous pour nous pardonner, pour apaiser sa fureur et sa colère, afin que nous ne périssions pas. »
Il ressort de cette ordonnance que les deux premiers moyens à utiliser pour obtenir la guérison d’une nation menacée sont la prière et la pénitence.
En premier lieu, la prière :
« Qu’ils crient au Seigneur de toutes leurs forces. »
Dieu seul détient en effet le pouvoir de sauver, étant le maître de la vie et de la mort. Le cri commandé aux Ninivites devait être le signe d’une prière ardente et pleine de foi, s’élevant vers Dieu du fond de leur cœur. Des prières similaires ont été prescrites il y a plusieurs années pour le salut de la France. On raconte que lorsque le Pape Pie IX apprit, en 1871, la décision de l’Assemblée Nationale concernant ces prières, il tomba à genoux et, levant avec attendrissement ses deux mains au ciel, s’écria :
« Maintenant, mon Dieu, ayez pitié de ma chère France. »
Il est juste de dire que toute nation qui prie est exaucée. Or, qu’est-ce qu’une nation ? Et quelles conditions sont nécessaires pour qu’une nation prie ? Nous connaissons peu les secrets du monde spirituel ; personne ne semble s’en soucier. Sans m’attarder sur ces questions, il est néanmoins légitime de se demander si depuis l’invitation faite par l’Assemblée Nationale en 1871, la France a persisté à prier en tant que nation. Oserait-on affirmer que gouvernants et gouvernés, car une nation est composée de ces deux éléments, continuent à élever ensemble le grand cri de l’âme et des lèvres, voté et demandé il y a treize ans comme moyen suprême de salut ?
Si notre prière nationale s’est affaiblie et ne répond plus aux attentes célestes, nous devons nous efforcer individuellement de la perfectionner, en la complétant par des prières particulières, plus fréquentes et plus ferventes. Rappelons qu’une prière en union avec le Sacré Cœur de Jésus est particulièrement puissante. C’est en France que la dévotion au Sacré Cœur a fleuri ; c’est dans une de ses bourgades que l’adorable cri a retenti :
« Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes. »
Que ce cri d’amour réponde à l’espérance :
« Ô Cœur qui avez tant aimé, aimez donc, aimez toujours la France ! »
Cependant, pour obtenir la guérison d’une nation menacée dans son existence, la prière seule ne suffit pas ; la pénitence est également nécessaire. Et quelle vraie pénitence que celle accomplie par les Ninivites :
« Que les hommes, les chevaux, les bœufs et les brebis ne goûtent de rien, ne paissent pas et ne boivent pas d’eau. Que les hommes et les bêtes se couvrent de sacs… »
Il s’agit non seulement d’une abstinence, mais d’une privation totale, pendant une journée entière, de toute nourriture et de tout liquide ; d’un renoncement complet aux frivolités du luxe pour se vêtir de sacs, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus grossier et de plus informe. Et ce ne sont pas seulement les hommes qui se soumettent à ces pratiques pénitentielles rigoureuses ; les animaux eux-mêmes y participent, afin que, après avoir souvent servi d’instruments de péché, ils deviennent, au moment du péril national, des agents de réparation.
Cependant, aussi expiatoires que paraissent ces diverses pratiques de pénitence, le roi païen et son conseil les ont jugées insuffisantes pour sauver la ville. C’est pourquoi l’ordonnance royale ajoutait :
« Que chacun se convertisse, qu’il quitte sa mauvaise voie et l’iniquité qui est sur ses mains. »
La conversion du cœur, la transformation de la vie, voilà les grands et indispensables moyens, les signes d’une vraie pénitence, sans lesquels il est impossible de fléchir Dieu.
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Eh bien, tout cela s’est réalisé à Ninive, si sérieusement accompli que la pénitence semble s’être enracinée dans le sol. Aujourd’hui encore, à quarante-cinq siècles de distance, lorsque chaque année revient l’anniversaire de la prédication de Jonas, les autochtones du pays, à l’instar des générations du Moyen Âge et de la génération contemporaine du prophète, s’abstiennent ce jour-là de nourriture et reprennent avec ferveur les pratiques pénitentielles.
La France, si malade, aura-t-elle la chance de voir se manifester en sa faveur l’explosion de générosité qui a sauvé Ninive ? Et si, en tant que nation, elle n’a pas encore adopté la pénitence, est-ce que, du moins, au sein d’elle, des foules, des familles, des individus expient pour son salut ? Sur ces questions, c’est à chacun de répondre à sa propre conscience, dans son patriotisme ; et même en sondant le plus profond de sa conscience, il est essentiel de se demander : depuis l’année terrible de 1871, avec laquelle a commencé pour la France le péril de mort, quels plaisirs ai-je sacrifiés ? Quelle pénitence ai-je accomplie ? Où en suis-je dans la réforme de ma vie ? Ai-je généreusement renoncé à mes idées s’elles étaient néfastes ? Ai-je entièrement réformé mes mœurs si elles étaient mauvaises ?
Si notre conscience nous répond de manière accusatrice sur ces différents points, rappelons-nous que, comme le dit saint Paul, il n’y a pas de rémission sans effusion de sang : que ce soit le sang coulant dans nos veines ou cette autre effusion de larmes, que saint Augustin appelle le sang de l’âme. L’une ou l’autre est absolument nécessaire pour sauver une patrie coupable.
Cependant, lorsque Dieu, dans sa miséricorde, décide d’accorder le salut, même lorsque nous semblons à peine dignes ou que nous ne le demandons plus, il a ses moyens pour briser les plus endurcis et les précipiter dans les abîmes de la pénitence ; peut-être, à cet égard, sommes-nous destinés à voir se réaliser la prédiction d’un étranger :
« Là-bas, en France, vous marchez vers la Terre Promise, mais en passant par la mer Rouge ! »
La prière et la pénitence, c’est déjà beaucoup ; mais une troisième et dernière condition est encore nécessaire pour assurer la guérison de la France.
Source : Dieu a fait la France guérissable – Abbé Augustin Lémann – 1884