D’où provient l’origine du Cordon Franciscain porté par les frères de l’ordre des Franciscains ? Est-ce institué originalement par Saint François ?
L’époque du Chapitre général approchait, Saint François se rendit à Pérouse, où était le Cardinal Ugolini, afin de préparer avec lui la tenue de ce grand Chapitre. Saint Dominique se trouvait également à Pérouse pour les affaires de l’Ordre des Frères-Prêcheurs, dont le Cardinal Ugolini était aussi le protecteur.
Le Frère Léon, qui accompagnait Saint François, rapporte qu’il y fut un instant question de fondre en un seul les deux Ordres naissants ; mais Saint François ayant cru préférable de s’en tenir à l’étroite union qui animait déjà les deux fondateurs, Saint Dominique lui demanda, en signe de cette union fraternelle, de lui donner au moins la pauvre corde qui ceignait son très-pauvre vêtement.
« Je la porterai toujours sous ma robe blanche, » dit-il.
François refusa longtemps par humilité ; mais le Cardinal-Protecteur trancha la difficulté, en ordonnant à François de céder. Ce fut là l’origine de cette dévotion si simple, qui se répandit aussitôt de toutes parts, et que l’on appelle aujourd’hui le Cordon Franciscain, ou le Cordon Séraphique, ou encore le Cordon de Saint-François.
Quantité de fidèles imitèrent, en effet, Saint Dominique, et se mirent à porter sous leurs vêtements, en signe d’union avec Saint François et la grande famille des Frères-Mineurs, une corde à trois nœuds. Devenu Pape sous le nom de Grégoire IX, le Cardinal érigea en Confrérie franciscaine la dévotion du Cordon de Saint-François, répandue dès lors dans toute l’Église ; et à la fin du quinzième siècle, le grand Pape Sixte-Quint, de l’Ordre des Frères-Mineurs, en fit une grande Archiconfrérie, qui existe encore aujourd’hui, et dont le Ministre-Général des Frères-Mineurs conventuels est le Directeur-né.
Après avoir terminé les affaires de l’Ordre et du Chapitre avec le Cardinal-Protecteur, Saint François s’en revint à Notre-Dame des Anges avec le bienheureux Frère Léon. Tout ravi en Dieu, il lui dit en chemin :
« O Frère Léon, je ne serais point un Frère-Mineur (hélas! je ne le suis guère !) si, voyant venir à moi tous nos Frères pour l’ouverture du Chapitre, et les entendant me déclarer qu’ils ne veulent plus avoir à leur tête un ignorant et un pécheur comme moi, je n’écoutais et ne recevais tout cela avec une entière tranquillité de cœur et une parfaite sérénité de visage.
Dans les humiliations, il n’y a qu’à gagner. Dans les postes supérieurs, il y a une responsabilité toujours redoutable ; il y a de grands dangers de vanité et d’orgueil, et les louanges mènent aux bords du précipice. »
L’humilité était comme le fond intime de cette sainte âme, toute perdue en Dieu et véritablement morte à elle-même. Vers la fête de la Pentecôte, les Frères-Mineurs, au nombre de plus de cinq mille, ouvrirent donc leur Chapitre général à Notre-Dame des Anges, sous la présidence du Cardinal Ugolini.
Saint Dominique y assistait avec sept de ses Frères. La multitude des enfants de Saint François remplissait la plaine d’Assise. Ils logeaient sous de petites cabanes de feuillage et de nattes, comme des pauvres qu’ils étaient. Ils étaient là, autour de leur bien heureux Père, comme les premiers chrétiens, autour de Saint Pierre et des Apôtres, n’ayant tous qu’un cœur et qu’une âme, priant jour et nuit, pleins de Dieu, et s’excitant les uns les autres à l’héroïsme des vertus évangéliques par l’exemple plus encore que par la parole.
François les avait partagés en groupes de cent ou de cent cinquante environ ; et le jour de l’ouverture, 26 mai, fête de la Pentecôte, le Cardinal-Protecteur, après avoir officié pontificalement, passa en revue toutes les humbles phalanges de cette armée d’un nouveau genre, que le très Saint François avait eu l’honneur de donner à Jésus-Christ.
Ravi d’admiration et de joie, il ne put s’empêcher de s’écrier, comme autrefois Jacob :
« En vérité, c’est ici le camp de Dieu ! »
François, lui aussi, parcourait les groupes de ses enfants bien-aimés, les écoulant, leur répondant, les encourageant à la ferveur, les embrasant de l’amour de Dieu, et du zèle des âmes, leur inspirant par-dessus toutes choses une entière obéissance à la Sainte Église Romaine, le mépris du monde, la pureté de cœur et de corps, l’amour de la Sainte pauvreté, l’humilité, la charité, la concorde et la douceur.
Dès le premier jour, il les assembla tous et leur dit d’admirables choses.
« Nous avons promis de grandes choses, leur dit-il ; on nous en a promis de plus grandes. Gardons les unes, soupirons après les autres. Le plaisir est court et la peine est éternelle. Les souffrances sont légères, et la gloire est infinie. Beaucoup d’appelés, peu d’élus. Tous recevront ce qu’ils auront mérité. »
Tel fut le résume de sa brûlante exhortation.
Il ajouta :
« Je vous défends expressément de vous occuper de votre nourriture. Reposez-vous-en de vos besoins sur le Seigneur, et lui-même vous nourrira. »
En l’entendant ainsi parler, Saint Dominique témoigna quelque crainte. Mais il changea bientôt de sentiment, en voyant accourir d’Assise, de Pérouse, de Foligno, et de villes encore plus éloignées, des ecclésiastiques, des laïques, des seigneurs, des gens du peuple, de tout âge et de toute condition, apportant aux pauvres de Jésus-Christ tout ce qu’il fallait pour subvenir à leurs besoins, et poussant la foi et la charité jusqu’à vouloir les servir de leurs propres mains.
L’exemple de la sainteté vraiment évangélique de Saint François et de ses Frères fut si entraînant, que plus, de cinq cents personnes prirent l’habit des Frères-Mineurs pendant ce Chapitre. François leur recommanda instamment la prudence dans les mortifications corporelles, afin de conserver la vigueur nécessaire au bon et joyeux service de Dieu ; puis, il insista de nouveau sur l’humilité et sur la fuite de la vaine complaisance, qui se glisse parfois jusque sous le froc de la pauvreté.
Le Cardinal Protecteur éprouvait de plus en plus la puissance de la grâce qui surabondait en Saint François. Il le proclama hautement un jour en présence de quelques Provinciaux de l’Ordre qui avaient cru pouvoir proposer, à l’occasion du Chapitre, des adoucissements à la Règle.
« Mes Frères, leur dit-il, le Saint-Esprit parle lui-même par la bouche de cet homme apostolique. Prenez garde à vous ; ne contristez pas l’Esprit de Dieu. Il est véritablement en ce pauvre, et vous découvre par lui les merveilles de sa puissance : en l’écoutant, c’est Jésus-Christ que l’on écoute ; en le méprisant, on méprise Jésus-Christ même. Je reconnais par expérience que tout ce que les démons ou les hommes veulent entreprendre contre son Ordre, lui est révélé. »
Le Chapitre étant terminé, et François ayant consulté le Seigneur dans une longue et ardente prière, le Saint patriarche des Frères-Mineurs partagea le monde entier entre ses enfants, pour renouveler partout l’esprit de Jésus-Christ et de son Évangile. Il déclara prendre pour lui-même et douze de ses Frères la Syrie et l’Égypte, à cause des souvenirs sacrés de la Terre-Sainte.
Pour notre France, il fit choix des mêmes Frères qui en avaient commencé l’Évangélisation, et dont plusieurs brillèrent de l’éclat des miracles et moururent en odeur de sainteté. Seule l’Allemagne ne reçut point de missionnaires, les Frères-Mineurs qui y avaient été envoyés précédemment ayant été fort maltraités et pris pour des hérétiques.
En racontant leurs mésaventures, ils disaient :
« Personne ne doit aller en Allemagne, à moins qu’il ne désire être martyrisé. »
Et plus d’un, dans ses prières, suppliait DIEU d’être préservé de la férocité des Allemands. D’accord avec le Cardinal Ugolini, Saint François fît divers règlements très-saints pour les couvents de l’Ordre de Sainte-Claire, qui se multipliaient grandement, et il envoya six de ses compagnons dans le Maroc pour y prêcher l’évangile aux infidèles.
Ils s’embarquèrent tous en pleurant de joie. François ne devait plus les revoir qu’au ciel, car, peu après leur arrivée dans l’empire du Maroc, ils eurent le bonheur d’y cueillir la palme du martyre. François se dirigea vers Ancône, afin de s’embarquer pour le Levant, avec les six Religieux qui lui restaient. Tous ne respiraient que l’amour de Jésus-Christ, l’honneur de son Saint Nom, et la gloire de travailler, de souffrir et de mourir pour lui.
Arrivé à Ancône, le Bienheureux Père se trouva environné d’un grand nombre de ses Frères qui avaient voulu le suivre jusqu’à son embarquement. Le capitaine d’un navire qui allait faire voile pour Damiette accorda volontiers à François le passage gratuit pour lui et quelques-uns de ses compagnons. Mais lorsque vint le moment de s’embarquer, tous voulaient suivre leur chef et Père bien-aimé.
Celui-ci, touché de leur zèle non moins que de leur attachement, se tourna vers eux et leur dit :
« Mes très-chers enfants, je voudrais que vous pussiez m’accompagner tous ; mais cela est impossible. Afin qu’aucun d’entre vous ne puisse se plaindre de n’avoir pas été préféré, je ne veux pas choisir moi-même : il faut que ce soit Dieu qui fasse le choix. »
Et. appelant un petit enfant qui se trouvait parmi les gens de l’équipage :
« Interrogeons, dit-il, ce petit innocent, et ajoutons foi à ce qu’il dira ; Dieu parlera par sa bouche. »
Puis, se tournant vers l’enfant :
« La volonté de Dieu, lui demanda-t-il, est-elle que tous ces Religieux s’embarquent avec moi ?
— Non, répondit l’enfant, sans hésiter.
— Lesquels faut-il prendre de tous ceux qui sont là ? »
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Et l’enfant surnaturellement éclairé de Dieu en désigna onze, les montrant au doigt, et s’approchant d’eux à mesure qu’il les nommait par le nom. Remplis d’admiration de ce prodige inattendu, les Frères furent tous contents, ceux qui devaient rester aussi bien que les autres qui avaient été nommés pour partir.
Ils se mirent à genoux ; Saint François les bénit, et on leva l’ancre. C’était en décembre 1218.
Source : Œuvres de Monseigneur de Segur – 1893
Merci.