Les farouches contradicteurs du laïcisme, du haut de leurs chaires respectives plus ou moins autorisées, ont pris la peine de l’anathématiser, bien plutôt que celle de le définir.
Pour nous, qui depuis plusieurs années, avons des relations publiques et privées avec lui, nous essaierons d’épargner à ses ennemis l’embaras qui résulte pour eux de cet état de choses, et nous allons tâcher de leur donner une définition du laïcisme afin qu’ils aient une base sur laquelle appuyer leurs invectives.
Trois choses sont qualifiées de laïcisme :
1° La prétendue exagération, de l’initiative laïque dans la qualification des personnes et des doctrines.
2° La prétendue exagération, de l’initiative laïque dans la direction et l’organisation des œuvres catholiques.
3° Le prétendu manque de soumission de certains laïques envers l’autorité épiscopale.
Voilà les trois points du haineux procès intenté aux laïcistes depuis deux ou trois ans. Inutile de dire que ces trois points, clairement indiqués ici par nous pour la première fois, ne l’ont jamais été dans les fougueuses et fatigantes harangues de l’accusateur ampoulé qui a principalement porté la parole contre nous. Particulariser les charges, préciser les idées, ne doit point entrer dans les lois de sa polémique singulière au plus haut point.
Beaucoup vociférer et crier à tue-tête :
« Schisme, schisme ! Secte, secte ! Rébellion, rébellion ! »
Exalter les privilèges et les prérogatives de l’autorité épiscopale, démontrer à grands renforts d’auteurs et de droit canon des vérités que personne ne nie au sujet de cette autorité, mais ne point s’approcher, même de loin, du véritable point du débat, n’apporter aucune preuve justificative des plus graves accusations, oubliant que toute accusation, non prouvée, se transforme en impudente calomnie, à la bonne heure !
Voilà une vraie manière de discuter ! Oh ! quel luxe d’érudition, quelle profondeur de théologie, quelle subtilité en droit canonique, quelle emphase de rhétorique, on a gaspillée pour démontrer que les plus fermes défenseurs de la cause catholique ne sont autres que ses plus-grands ennemis, et que les inventeurs et les fauteurs du laïcisme étaient précisément ceux-là même que l’on accuse sans cesse de cléricalisme !
Pour prouver enfin que ceux qui de tout temps se sont distingués par leur dévouement et leur docilité à la houlette pastorale en ce qui relève de sa juridiction, ont au contraire tendu à s’émanciper du magistère sacré de l’épiscopat !
Cette dernière phrase, en ce qui relève de sa juridiction, les implacables adversaires de ce qu’on appelle à tort laïcisme l’ont tenue en un lamentable et peut-être volontaire oubli. Ils citent sans cesse et en tout sens l’encyclique Cum multa, et on dirait qu’ils ne sont pas encore parvenus à y lire cette parenthèse qui donne la légitime et naturelle explication de ce qu’elle contient de plus substantiel. En effet, toutes les accusations de révolte dirigées contre certaines associations et contre certaines feuilles périodiques seraient justifiées à la condition de prouver (ce qui ne s’est jamais fait et ne se fera jamais) que ces associations et ces journaux, en refusant avec une fermeté virile de faire partie de la malencontreuse union catholico-libérale que l’on voulait canoniquement leur imposer, ont désobéi à leurs chefs religieux en quelque chose qui fût de leur juridiction.
L’intelligence incommensurable des hommes qui ont découvert et qui poursuivent le laïcisme pouvait bien s’occuper de cela, ç’eût été une tâche digne de leurs goûts laborieux, car sans nul doute, ils n’en auraient vu la fin que fort tard. Mais, qu’y faire ? L’idée n’en est pas venue aux anti-laïcistes. Leur petit manuel de logique ne doit pas leur avoir signalé le sophisme appelé mutatio elenchi. Celui-là même qui les fait sans cesse chanter extra chorum, pour ne pas employer une autre expression, plus imagée, mais moins littéraire, de l’énergique idiome catalan.
C’est tout d’abord, un bien singulier laïcisme que celui qui, en Espagne et surtout en Catalogne, marche à la tête de toutes les œuvres catholiques, vulgairement appelées ultramontaines. Au nom du Pape, il organise des pèlerinages, en faveur du Pape, il recueille des milliers d’adhésions et de signatures, pour secourir le Pape, il envoie sans cesse à Rome aumônes sur aumônes, il se tient toujours à côté de ses prélats et il exécute tous leurs ordres relatifs à la guerre contre l’impiété.
Il fonde, il paie, il soutient des écoles catholiques, pour les opposer aux écoles dites laïques et aux écoles protestantes, en un mot, dans les assemblées littéraires, dans le temple, dans la presse, il forme et il enrôle les plus ardents défenseurs de la foi et du Saint-Siège ! C’est un laïcisme vraiment rare et phénoménal que celui dont les amis et les inspirateurs sont les prêtres les plus exemplaires, et dont les foyers principaux sont les maisons religieuses les plus ferventes, qui en peu d’années a reçu à lui seul plus de bénédictions particulières de Sa Sainteté le Pape que toute autre association en un demi-siècle, et qui porte le signe le plus authentique des serviteurs du Christ, puisque les ennemis les plus déclarés du nom chrétien le regardent avec tant de haine et le persécutent avec tant de rage.
N’est-il pas vrai que ce laïcisme ressemble en tous points au plus pur catholicisme ? En résumé, ce laïcisme (tel que nous l’avons dépeint) n’existe pas, ni rien qui lui soit semblable. Ce qui existe, oui, c’est une poignée de catholiques laïques qui valent une armée et gênent singulièrement la secte catholico-libérale, qui a pour cela une raison très légitime et très justifiée de les détester. Il y a plus encore.
1° Le catholique laïque a toujours pu, il peut et doit, avec encore plus de raison aujourd’hui, prendre une part très active à la controverse religieuse, en exposant des doctrines, en qualifiant des livres et des personnes. Il lui est permis d’arracher leurs masques aux visages suspects et de tirer droit aux blancs que d’avance l’Église lui a marqués. Parmi eux, le blanc préféré doit être de nos jours l’erreur contemporaine du libéralisme et sa triste progéniture, son complice et son receleur, le catholicisme libéral, contre lequel le Pape a dit cent fois que tous les bons catholiques, même laïques, devaient combattre sans cesse.
2° Le fidèle laïque a toujours pu et peut aujourd’hui, comme par le passé, entreprendre, organiser, diriger, et mener à bonne fin toutes sortes d’œuvres catholiques, en suivant avec soumission la voie tracée par le droit canonique et sans autres réserves que celles imposées par ce droit. L’exemple d’un tel pouvoir nous est donné par de grands saints qui n’étaient que de simples laïques, et qui ont néanmoins créé dans l’Église de Dieu de magnifiques institutions de tout genre, et jusqu’à de véritables ordres religieux. Témoin François d’Assise : Il ne fut jamais prêtre.
Que les anti-laïcistes en tombent en syncope, il ne fut jamais prêtre, il n’était pas même sous-diacre, mais simplement un pauvre laïque quand il jeta les fondements de son ordre. À plus forte raison on peut donc fonder un journal, une académie, un cercle, un cercle de propagande, sans autre obligation que de s’en tenir aux règles générales établies, non par le critérium d’un homme quel qu’il soit, mais par la sage législation canonique, à laquelle tous sont soumis et tous doivent obéissance, depuis le plus grand prince de l’Église jusqu’au laïque le plus obscur.
3° Dans les questions libres, il n’y a pour un journal, une association ou un individu, ni révolte ni insoumission à vouloir les résoudre d’après leur jugement privé. Ce qu’il y a de très remarquable, bien que la chose n’ait rien d’extraordinaire, c’est que nous avons, nous les catholiques, à faire la leçon aux libéraux, à leur apprendre quelles sont les lois de la véritable liberté chrétienne, et combien la noble soumission de la foi est distincte du servilisme bas et rampant.
Le confesseur n’a pas le droit d’imposer à son pénitent les opinions libres, encore qu’il les juge plus profitables et plus sûres, il en est de même du curé à l’égard de ses paroissiens et de l’évêque vis-à-vis de ses diocésains, et, il serait fort utile que nos savants contradicteurs, relussent un peu Bouix, ou tout au moins le P. Larraga. Pour la même raison, il n’y a ni crime, ni péché, ni même faute vénielle, encore bien moins hérésie, schisme ou autre infidélité que ce soit dans certaines résistances.
Car il est des résistances autorisées par l’Église, et que partant nul ne peut condamner. Et tout cela sans préjuger si de telles résistances sont quelquefois non seulement permises, mais encore recommandables, non seulement recommandables, mais encore obligatoires en conscience ; comme il arriverait si, de bonne ou de mauvaise foi, avec des intentions droites ou non, un supérieur voulait contraindre un inférieur à souscrire des formules, à prendre des positions, à tremper dans des connivences ouvertement favorables à l’erreur, désirées, ourdies et applaudies par les ennemis de Jésus-Christ.
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En ce cas, le devoir du bon catholique est de résister à outrance, et de mourir plutôt que de céder. C’est tout ce qu’il y avait à dire sur la question si débattue du laïcisme qui, considérée sous son vrai jour et avec une connaissance moyenne de la matière, n’est pas même une question. Si la théologie établie par les très graves frères du catholicisme libéral était certaine, il ne resterait pas grand-chose à faire au diable pour être maître du champ de bataille, parce que nous le lui livrerions de nos propres mains.
Pour rendre tout mouvement catholico-laïque impossible dans la pratique, il n’existe pas de meilleur moyen que celui de le soumettre à des conditions telles qu’il en devienne moralement impraticable. En un mot ce n’est là qu’un pur jansénisme, mais par bonheur ce jansénisme a laissé choir son masque.
Source : Le libéralisme est un péché – Don Félix Sarda y Salvany – 1915