Explorez les profondes expériences mystiques de Thérèse Neumann, qui ont marqué sa vie. Plongez dans ses visions et extases fascinantes.
Thérèse me déclara un jour, alors que nous discutions de la prière :
« Je n’arrive plus à réciter le Pater, je suis saisie dès la troisième demande. »
Le curé m’informa plus tard qu’en réalité, elle ne parvenait jamais à aller plus loin que :
« Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ».
À ce moment-là, en effet, démarrait subitement chez elle ce que les mystiques appellent l’oraison de quiétude ou encore la contemplation, en l’occurrence, la contemplation du mystère de la sainte Eucharistie (la communion). Il arrive également qu’en parlant ou en méditant sur des sujets religieux, elle s’immobilise brusquement. Son visage prend alors une expression transfigurée ou solennelle, inoubliable lorsqu’on l’a vue ne serait-ce qu’une fois. Son corps reste normal, conservant sa souplesse et sa chaleur naturelles.
À propos de cet état, elle déclara un jour :
« Alors, je ne peux plus rien voir, plus rien entendre, plus penser à rien, je ne peux plus qu’aimer le Seigneur. »
Les mystiques distinguent différents degrés dans la contemplation. Sainte Thérèse de Lisieux et Saint Jean de la Croix les ont exposés dans leurs œuvres classiques avec le plus grand raffinement psychologique, en s’appuyant sur leur expérience personnelle. Lorsque je voulus savoir de Thérèse si elle était consciente de ces degrés de la prière mystique dans son union avec Dieu, elle répondit :
« Je vois parfois une lumière qui n’a pas de forme, mais elle est si ineffablement belle qu’il vous semble impossible de continuer à vivre. »
Je ne saurais dire si elle parlait de l’apparition d’un ange ou d’un état de vision intellectuelle, car sur mes questions plus précises, elle interrompit la conversation. Elle n’aime pas s’exprimer au sujet de ces états d’expérience en termes techniques de la théologie mystique.
Lorsque nous discutions un jour de ce que Sainte Thérèse de Lisieux appelle les « fiançailles et le mariage mystiques« , elle s’indigna de ces termes. Il lui répugnait visiblement de se considérer comme l’épouse du Seigneur ou sa fiancée, préférant insister sur les liens filiaux qui l’unissaient au Seigneur. Il s’agit peut-être là d’une nuance d’expression plutôt que d’une différence substantielle. Ce qui est certain, c’est qu’à l’instar de tout vrai mystique, elle était toujours en constante évolution. Je comprends bien qu’elle ne puisse pas réfléchir sur son degré de perfection actuel.
Cela ne doit pas seulement découler de l’humilité, mais aussi d’une inspiration du Saint-Esprit qui cherche à empêcher que son instrument soit troublé, ou qu’il se plonge trop dans l’examen de soi-même, au point de vouloir se comparer à d’autres mystiques ou même à des saints. Si quelqu’un rapporte quelque chose d’agréable concernant le contenu de ses visions, ou si elle en parle elle-même, il arrive parfois qu’elle s’affaisse soudainement en soupirant ou en portant la main à son cœur. Son visage devient pâle et amaigri, elle présente tous les symptômes d’une personne en agonie. À deux reprises, j’ai été témoin de cet événement.
La première fois, alors que nous étions assis à table chez le curé, elle exprima sa joie en voyant les âmes des enfants égorgés à Bethléem se détacher des corps sous des apparences lumineuses.
« Elles sont allées au ciel. Oh ! que ne puis-je le dire aux mères afin qu’elles aussi se réjouissent dans leur chagrin. »
Ensuite, elle s’affaissa. À cette vue, nous fûmes autant émus qu’angoissés. Le curé conserva son calme. Il connaissait cet état. Après trois minutes, elle sembla aller mieux. Elle paraissait maintenant dormir profondément. Soudain, son visage reprit son apparence normale et ses couleurs. Sa poitrine se dilata. Elle ouvrit les yeux, se redressa d’un mouvement vigoureux, jeta un regard sur la table et s’exclama d’une voix ferme :
« Allons, la soupe n’est même pas encore servie ».
Elle se précipita dans la cuisine, réapparut peu après avec la lourde soupière, la posa sur la table et servit les hôtes étonnés. L’un de nous la questionna :
« Réellement, qu’y avait-il donc, qu’est-ce que tu viens de vivre ? »
Elle se tut, réfléchit un instant et répondit en souriant :
« Je ne peux même plus me réjouir, la joie me réussit moins bien que la souffrance », puis, joyeuse et enjouée, elle changea de sujet de conversation.
Une autre fois, le curé me raconta en sa présence comment, lors d’une vision, l’Enfant-Jésus que sa Mère conduisait parmi les serviteurs et les animaux des trois rois saints, se retourna soudainement vers Thérèse, lui tendant les bras. À cet instant, le curé fut interrompu par un soupir de Thérèse. Elle s’affaissa et présenta les phénomènes déjà décrits. Plus tard, le curé m’apprit qu’elle avait récemment eu une forte hémorragie lors d’un incident similaire. De sa plaie sous le cœur, un flot de sang aurait jailli alors qu’il lui rapportait une conversation entre Jésus et Jean. Elle avait eu la vision de cette scène, et le curé en avait pris note pendant son état de repos extatique. On ne peut lui parler du retour du Christ au Jugement dernier qu’avec une certaine prudence, car elle en ressent une telle joie que les phénomènes mentionnés se reproduisent.
Incontestablement, elle présente donc ce que les mystiques dénomment contemplation par rapport à la raison et extase par rapport à la raison et à la volonté. La voie unitive est décrite par les mystiques comme le but final des deux autres voies : la purification et l’illumination. Toute ascèse et contemplation ne tendent, en dernière analyse, qu’à provoquer l’union d’amour avec Dieu.
Si la voie unitive est engagée, cela ne signifie pas que les voies précédentes soient totalement abandonnées. Elles doivent continuer à être parcourues de temps en temps afin de permettre l’accès à un degré supérieur dans la voie unitive. Ici encore, il existe une voie unitive commune à laquelle tout chrétien est appelé. Les trois vertus théologales : foi, espérance et charité sont implantées, à l’aide des sacrements, dans l’âme du néophyte comme des semences.
Mais cela ne suffit pas encore pour réaliser l’union vivante avec Dieu sur cette terre. Par les voies purgatives et illuminatives, le chrétien doit parvenir à s’assurer les sept dons du Saint-Esprit. Tandis que les vertus perfectionnent l’Homme dans la mesure où il est capable d’être guidé par sa propre raison, les dons du Saint-Esprit le perfectionnent de telle manière qu’il puisse être inspiré par Dieu grâce au souffle du Saint-Esprit.
Ces dons sont indispensables pour le chrétien, car la foi, l’espérance et la charité (dans le sens indiqué précédemment) n’informent que de manière imparfaite la raison et la volonté. Une autre impulsion du Saint-Esprit est nécessaire dans les circonstances et les occasions de la vie courante, notamment lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importantes immédiatement.
Les sept dons du Saint-Esprit rendent cette inspiration possible. De ces dons découle la vie contemplative du chrétien. Tous les croyants sont invités à cette mystique. Les écrits mystiques d’un Macaire, d’un Bernard, d’un Bonaventure, d’un Tauler, d’un Suso ou d’un Ruysbroeck en parlent. La voie unitive extraordinaire n’est le privilège que de quelques âmes qui ont soit la vocation de révéler la grâce divine dans toute sa gratuité, soit de renforcer de manière extraordinaire les vertus chrétiennes chez autrui. Les grands classiques de la mystique expliquent ainsi l’essence de la contemplation extraordinaire ou mystique chrétienne :
Il existe quatre formes de lumière spirituelle pour l’intelligence :
- La lumière naturelle de la raison, grâce à laquelle l’homme s’élève par la contemplation des choses terrestres jusqu’aux sommets suprêmes de la philosophie et de la sagesse terrestre. C’est ainsi qu’il peut, bien que difficilement, parvenir à concevoir l’existence de Dieu et ses attributs divins.
- Par la grâce, nous recevons la lumière surnaturelle de la foi ; la volonté, saisie par cette grâce, pousse la raison à accepter comme indiscutablement vraies certaines révélations et promesses du Christ. Cette lumière permet à l’homme sur terre d’entrer en communion avec Dieu. S’il demeure fidèle, il goûtera par avance les béatitudes que le Christ a annoncées dans le discours sur la montagne. C’est la voie unitive commune à laquelle chacun est appelé.
- La lumière de la foi a pour but de préparer notre esprit sur terre à recevoir, dans l’au-delà, la lumière de la Gloire. Grâce à cette lumière, les élus, lors de la vision de Dieu, reconnaîtront Dieu tel qu’Il est en Lui-même, et à travers Son essence, toute la création. C’est la plus haute lumière que l’homme puisse atteindre avec l’aide de Dieu dans l’au-delà.
- Il existe cependant une autre lumière, située entre la lumière de la foi et la lumière de la Gloire. Il s’agit de la lumière de la contemplation mystique. La plupart du temps, elle est accordée par Dieu, dès l’enfance, à ceux qui sont élus, sans qu’ils ne le méritent en aucune manière. C’est presque le Ciel sur terre, tel que l’a vécu Saint Paul.
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L’essence propre de la mystique chrétienne réside dans cette contemplation qui est une expérience extraordinaire du divin. L’acte de contemplation ne se limite pas uniquement à l’intellect, mais il se propage dans l’affectif et allume dans la volonté un feu divin. Dans ce brasier d’amour, la volonté dépasse en intensité l’activité intellectuelle. La volonté d’amour entraîne alors l’intelligence vers une compréhension encore plus élevée du divin. C’est pourquoi la mystique comporte essentiellement trois étapes :
Par la grâce du don de la sagesse, la contemplation du divin naît dans l’intellect. Celle-ci, grâce à l’expérience de la jouissance du divin, allume un amour intense dans la volonté. Enfin, de cette union d’amour résulte en troisième lieu la contemplation suprême. Toute mystique authentique est donc une science de Dieu qui découle d’une jouissance de Dieu. Dans la voie unitive extraordinaire, ce processus, renforcé par des grâces extraordinaires, se rapproche très étroitement de la vision béatifique, mais ne coïncide que temporairement sur cette terre avec elle.
Il existe donc une contemplation extraordinaire à laquelle aucun homme, quel que soit son engagement fidèle envers la grâce de Dieu, ne peut accéder s’il n’est pas destiné à la mystique extraordinaire. Thérèse Neumann semble avoir possédé cette contemplation depuis sa jeunesse. En ce qui concerne la volonté, la voie unitive extraordinaire se manifeste dans l’extase.
Source : Thérèse Neumann – La mystique de Konnersreuth – Père Helmut Fahsel – 1936