Le premier moyen de parvenir à la solide vertu, qui paraît le plus aisé, et qui est le plus difficile, est de le vouloir ; mais d’une volonté sincère, entière, efficace et constante.
Qu’elle est rare cette bonne volonté ! On se flatte de vouloir, et dans le fait, on ne veut pas. Ce sont des désirs, des velléités, des souhaits ; mais ce n’est pas une volonté forte et déterminée. On veut être dévot, mais à sa manière, mais jusqu’à un certain point, mais pourvu qu’il n’en coûte pas trop. On veut, et l’on se borne à vouloir.
On ne passe point à la pratique ; on se rebute dès qu’il faut mettre la main à l’œuvre, écarter ou forcer les obstacles, combattre ses défauts, lutter contre la nature et ses penchants vicieux. On veut aujourd’hui, on commence avec ardeur, mais on se relâche bien vite. On entreprend, et on laisse. On ne veut pas voir que tout consiste à persévérer. Demandons à Dieu cette bonne volonté ; demandons-la tous les jours et méritons, par notre fidélité d’aujourd’hui, de l’obtenir pour le jour suivant.
Le second moyen est de régler sa journée, et d’être exact à observer tout ce qu’on s’est prescrit. Il ne faut pas trop se charger d’abord. Il vaut mieux augmenter les exercices insensiblement et par degrés. Il faut avoir égard à la santé, à l’âge, à l’état et aux devoirs qu’il exige ; car ce serait une dévotion mal entendue que celle qui préjudicierait aux devoirs de notre état.
Le troisième moyen est de s’exercer à la présence de Dieu. Pour cela, il faut se persuader, ce qui est de foi, que Dieu habite dans le cœur de l’homme ; qu’on le trouve au dedans de soi-même, pour peu qu’on veuille y entrer ou se recueillir ; qu’il est dans notre cœur pour nous inspirer de saintes pensées, de bons sentiments, pour nous porter au bien et nous éloigner du mal.
Ce qu’on appelle la voix de la conscience est la voix de Dieu même, qui nous avertit, qui nous reprend, qui nous éclaire, qui nous dirige. Le point donc est d’être attentif et fidèle à cette voix. Ce n’est pas dans la dissipation, dans l’agitation et le tumulte qu’elle se fait entendre, mais dans la solitude, dans la paix, dans le silence des passions et de l’imagination.
Le plus grand pas que l’âme puisse faire vers la perfection est de se tenir habituellement en état d’entendre la voix de Dieu, de s’appliquer à posséder toujours son âme en paix, d’éviter tout ce qui la dissipe, tout ce qui l’inquiète, tout ce qui l’attache violemment. Tout ceci doit être pendant longtemps la matière d’un examen et d’un combat continuels.
Le quatrième moyen est de donner à Dieu un certain temps dans la journée, ou l’on ne s’occupe uniquement que de sa présence, que de lui parler non de la bouche, mais du cœur, et de l’écouter. C’est ce qu’on appelle l’oraison mentale. Pour s’y accoutumer, on peut, dans les commencements, s’aider du livre de l’Imitation, faisant une pause sur chaque verset, méditant et savourant doucement la doctrine qu’il contient.
On y peut donner d’abord un quart d’heure le matin et autant le soir ; mais il faut s’accoutumer à y employer au moins une demi-heure le matin. Quand on aura pris goût à ce saint exercice, et qu’on pourra se passer de livre, on se tiendra de temps en temps en paix devant Dieu durant le recueillement, le priant d’agir lui-même sur notre âme et d’y opérer suivant son bon plaisir.
C’est une erreur grossière de traiter d’oisiveté le temps qu’on passe ainsi à se tenir attentif et recueilli devant Dieu, soit qu’il lui plaise de nous faire sentir ou non son action.
Le cinquième moyen est d’approcher souvent des sacrements, qui sont les principales sources de la grâce. Il ne faut pas se faire de la confession un tourment ; cela est contre l’intention de Dieu ; ni se faire une routine et une espèce de formule d’accusation, chose très ordinaire aux personnes qui se confessent fréquemment.
Les choses dont les personnes qui tendent à la perfection doivent principalement s’accuser, sont les vues auxquelles elles ont résisté, les sentiments d’amour-propre qu’elles ont écoutés, tout ce qu’elles ont dit, ou fait, ou omis avec réflexion et de propos délibéré.
La communion sera toujours bien faite lorsqu’on en sortira avec un nouveau courage et une nouvelle résolution d’être plus fidèle à Dieu que jamais. Il ne faut pas croire que, pour bien se confesser et bien communier, on doive s’assujettir aux actes qui sont marqués dans les livres.
Cela est bon pour les jeunes personnes dont l’imagination est vive et légère, pour ceux qui communient rarement, en général, pour ceux qui n’ont aucune habitude du recueillement. Mais, pour peu qu’on soit entré dans les voies de l’oraison, il ne faut plus emprunter le secours des livres, ni pour entendre la messe, ni pour participer aux sacrements.
Le sixième moyen, ce sont les lectures de piété. Il y a un grand choix à faire pour les livres. Il faut préférer à tous les autres ceux qui touchent le cœur et qui portent avec eux une certaine onction. Rodriguez est excellent pour les commençants. Pour ceux qui sont plus avancés, l’lmitation, le P. Saurin, saint François de Sales, etc., les Psaumes et le Nouveau Testament, les Vies des Saints.
La lecture doit être une demi-oraison, c’est-à-dire qu’en lisant, il faut donner lieu à l’action de Dieu et s’arrêter aux endroits où l’on se sent touché. On doit lire dans la vue de pratiquer, et, comme tout ne convient pas à tout le monde, il faut s’attachera ce qui nous est propre et personnel, sans pourtant trop multiplier les pratiques, ce qui nuirait à la liberté d’esprit, qu’il faut toujours conserver.
Le septième moyen est la mortification du cœur. Tout s’oppose en nous au bien surnaturel ; tout nous ramène aux sens, à l’amour-propre. Il faut lutter sans cesse contre soi-même et se faire une guerre continuelle, soit pour résister aux impressions du dehors, soit pour combattre celles du dedans.
On ne saurait donc trop veiller sur son cœur et sur tout ce qui s’y passe. Cela est pénible dans les commencements ; mais la chose deviendra facile à mesure qu’on s’habituera à rentrer en soi-même, et qu’on s’appliquera à la présence de Dieu.
Le huitième moyen est la dévotion à la sainte Vierge. Qu’on demande par elle à Jésus-Christ les grâces dont on a besoin, on les obtiendra infailliblement. C’est surtout dans les tentations de dégoût, d’ennui, de découragement, d’envie de tout quitter, qu’il faut s’adresser à elle avec une sainte confiance qu’elle nous exaucera.
On ne saurait avoir aussi trop de dévotion à son ange gardien. Il ne nous quitte jamais, il nous est donné pour nous diriger dans la route de la sainteté. Il faut donc nous adresser à lui dans nos doutes dans nos embarras, et le prier souvent de veiller sur nous.
Enfin, le point capital est d’avoir un bon guide, un directeur entendu dans les voies de Dieu, et qui se conduise lui-même par l’esprit de Dieu. Ces bons directeurs ont toujours été assez rares, et ils le sont aujourd’hui plus que jamais.
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Cependant, on peut assurer que les bonnes âmes qui veulent aller droit à Dieu ont toujours trouvé un homme propre à les y conduire. La Providence est engagée à leur en fournir un, et elle ne manque jamais de le faire lorsqu’on l’invoque à cette fin. On peut dire que c’est toujours la faute des âmes lorsqu’elles n’ont pas le directeur que Dieu leur a destiné.
Qu’elles le prient donc de leur faire connaître celui à qui elles doivent confier le soin de leur perfection, et, quand elles l’auront trouvé, qu’elles lui ouvrent leur cœur, qu’elles l’écoutent avec docilité, qu’elles suivent ses conseils, comme si Dieu leur parlait par sa bouche. Une âme de bonne volonté et bien conduite ne peut manquer de parvenir à la sainteté.
Source : Manuel des âmes intérieurs – Père Grou – 1885
Magnifique.