Ce n’est pas malgré l’Église et contre l’Église, c’est par elle et pour elle que s’est produit sous l’ancien régime, le puissant mouvement en faveur de l’enseignement populaire constaté par tous les érudits au courant de la question. Et cela à toutes les époques.
L’histoire de l’instruction à tous les degrés dans le haut Moyen Âge est uniquement celle des efforts tentés par l’Église pour conserver les sciences et sauver la civilisation menacée. Du Vᵉ au XIe siècle, le clergé seul s’occupe des choses de l’intelligence, et si nous voulons avoir une idée de l’état des sciences et des lettres en ces temps reculés, c’est à peu près uniquement aux documents ecclésiastiques qu’il faut recourir ; ce sont les collections de conciles et de synodes qu’il faut étudier.
Pendant longtemps, les seules écoles dont nous parlent les textes sont les écoles paroissiales, monastiques, épiscopales, et plusieurs siècles s’écoulent avant que les administrations communales et les communautés d’habitants songent à avoir leurs établissements et leurs maîtres à elles.
Le célèbre Antoine Loisel — fort « laïque » dans ses idées — disait en 1587 dans un plaidoyer pour l’église et l’enseignement populaire :
« Je veux rechercher plus haut la source et l’origine de nos écoles et non seulement de cette ville, mais de toute la France et universellement de toute la chrétienté, et montrer qu’elles sont cléricales et ecclésiastiques, saintes et sacrées et non pas laïcales et séculières.
Or, en France, lorsque ce royaume fut établi en la religion catholique qui est dès son fondement sous le roi Clovis, premier chrétien, le soin des écoles se trouva toujours avoir été par devers les ecclésiastiques et notamment les évêques et abbés auxquels nous devons la conservation des lettres et sciences, n’y ayant jadis d’autres écoles que les cloîtres des églises et monastères, ou par le moyen des évêques, chantres et chanoines d’icelles. »
La plupart de ceux qui enseignèrent furent ecclésiastiques ; ecclésiastique aussi fut presque partout la dotation des écoles à tous les degrés. Au XVIe siècle, la lutte fut très vive entre l’Église catholique et la prétendue Réforme. Les fauteurs des idées nouvelles firent assurément de beaux discours en faveur de la diffusion des connaissances ; ils fondèrent même certaines écoles ; mais l’Église, solidement établie déjà sur ce terrain, s’y maintint avec une énergie multipliée par le péril de la concurrence qui lui était faite et ce fut justement en ces temps mauvais où la guerre amoncelait partout les ruines que la contre-réformation catholique accomplit avec le plus de zèle et d’ardeur persévérante son œuvre de restauration, son œuvre de science et de lumière.
Il n’est pas contestable que de la fin du XVIe siècle à la Révolution, un mouvement très large, puissant, fécond, s’est produit en France en faveur de l’école populaire. L’Église fut le facteur le plus actif et le plus énergique de ce mouvement. Je le répète, s’il est un fait avéré pour ceux qui ont étudié, même superficiellement, l’histoire de l’instruction primaire en France aux siècles passés, c’est le dévouement avec lequel elle a partout travaillé à la diffusion de l’enseignement dans les masses. Ce sont les conciles qui ont proclamé la nécessité de l’instruction primaire ; ce sont les synodes diocésains qui, après avoir enflammé le zèle des ecclésiastiques et leur avoir enjoint de s’employer de tout leur pouvoir à la fondation des écoles, ont donné à celles-ci de sages règlements ; ce sont les évêques et les prêtres qui les ont fondées, dotées, inspectées ; et les congrégations religieuses ont élevé des multitudes incalculables d’enfants du peuple.
Le concile de Trente s’occupa, à plusieurs reprises, des questions d’enseignement. Il renouvela les décrets des conciles de Latran de 1179 et 1215, et prescrivit, dès sa cinquième session, « que dans les églises dont les revenus seront trop modiques et le clergé et le peuple trop peu nombreux pour qu’il soit utile d’entretenir un maître de théologie, il y aura, du moins, un maître de grammaire qui donnera des leçons gratuites aux clercs et pauvres écoliers afin qu’ils puissent plus tard en venir à de plus hautes études. On donnera à ce clerc les fruits d’un bénéfice ou il recevra un traitement prélevé sur les revenus de l’évêque ou du chapitre. »
Ces décisions furent généralement exécutées.
« L’examen de nombreuses pièces d’archives, dit M. Maggiolo, m’a laissé la conviction que partout, de bon gré ou par nécessité, les 526 chapitres qui existaient en France avant la Révolution remplissaient l’obligation qui leur était imposée par les conciles de fonder et d’entretenir des écoles pour le peuple. »
En conséquence des décrets de discipline du concile de Trente, de nombreux conciles provinciaux se tinrent dans la seconde moitié du xvie siècle. Entre autres villes, Narbonne, Rouen, Aix, Tours, Bourges, Cambrai, Bordeaux en furent le théâtre. Tous eurent à cœur de relever les écoles et de faire refleurir les lettres.
Le concile de Narbonne (1551) établit les règles les plus sages pour le choix des maîtres, le programme des matières de l’enseignement, et la part qui doit y être faite à la religion. Quant à l’admission des régents, il consacre
Le concile de Cambrai (1565) décide que « les évêques devront donner leurs soins à ce que les écoles des villes, bourgs et villages de leurs diocèses soient rétablies, si elles ont été détruites ; qu’elles soient augmentées et perfectionnées, si elles existent encore ; que dans toutes les paroisses, il y ait des maîtres pour instruire les enfants, surtout dans celles qui sont populeuses ; le curé devra, chaque mois, s’informer des progrès des enfants et les doyens ruraux visiteront les écoles tous les six mois, ou du moins tous les ans, et en feront leur rapport à l’ordinaire. »
Enfin en 1631, un dernier concile provincial de Cambrai édicta les prescriptions suivantes :
« I. Partout où il n’existe pas encore d’écoles, les doyens devront faire en sorte qu’il en soit établi (même en invoquant l’aide du bras séculier) et prendront des mesures pour assurer aux maîtres des appointements annuels.
II. On aura soin que les maîtres instruisent seulement les garçons, et les maîtresses, les filles. Si, dans certains villages, on ne peut l’obtenir, que du moins les garçons et les filles soient instruits dans des lieux différents et à des heures distinctes.
III. Les curés insisteront auprès des magistrats et autres personnes revêtues d’autorité, pour contraindre les pauvres, en les privant des aumônes, et les autres, par divers moyens, à envoyer leurs enfants et leurs domestiques à l’école dominicale.
IV. Tous les six mois, les écoles des villes seront visitées par les écolâtres des chapitres et les autres par les doyens de chrétienté, à ce commis par les évêques.
V. Dans les écoles dominicales, les garçons et les filles n’apprendront pas seulement à lire et à écrire, mais on leur enseignera la religion. »
On voit comment l’Église, dans ses conciles, s’est préoccupée de l’enseignement populaire ; comment surtout, après la crise du xvie siècle, elle a fait de généreux efforts pour remettre à la portée de tous, avec l’instruction religieuse, les premiers éléments des connaissances humaines.
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À partir du second tiers du XVIIe siècle, le pouvoir royal ne permit que très exceptionnellement la tenue des conciles provinciaux. Dans une certaine mesure, ils furent remplacés par les Assemblées générales du clergé. À plusieurs reprises, elles suggérèrent au gouvernement d’utiles mesures en faveur de l’enseignement populaire.
L’Église continuait à s’en occuper très instamment, et on en a la preuve chaque fois que, dans les grandes bibliothèques, on feuillette les recueils des statuts synodaux de nos anciens diocèses qu’elles nous ont conservés. En prenant dans chacun d’eux les dispositions relatives aux écoles, on formerait sans peine un gros volume qui ferait grand honneur à notre ancien clergé et montrerait comment, sur le terrain de l’instruction publique comme sur bien d’autres, il a été autrefois un initiateur éclairé, un infatigable agent de progrès.
Source : L’Église et l’enseignement populaire sous l’ancien régime – Chanoine E. Allain – 1905