On récolte ce qu’on a semé. Les principes du Césarisme, si imprudemment enseignés à la jeunesse de l’Europe, ne tardent pas à se manifester dans les faits.
Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil général sur la marche des sociétés depuis la Renaissance. Jusqu’à cette époque, l’Église avait, laborieusement, il est vrai, mais victorieusement combattu l’introduction du Césarisme au sein de l’Europe. Dans leurs principes généraux comme dans leurs grandes applications, le droit social et le droit civil étaient restés chrétiens. Au souffle de la Renaissance, les digues opposées au torrent tombent avec rapidité les unes après les autres. Depuis ce moment, on voit tous les souverains de l’Europe marcher sur les traces de quelques-uns de leurs devanciers, aspirant à l’envi à se faire papes.
Les uns, comme les rois d’Angleterre, de Suède, de Danemark, de Prusse, et une foule de princes allemands, rompent complètement avec Rome, et placent sur leur tête la tiare des pontifes. Dans toute l’étendue du mot, ils sont redevenus Césars : Imperator et summus pontifex.
Les autres, tout en restant catholiques, comme les empereurs d’Allemagne, les rois de France, d’Espagne et de Portugal, travaillent constamment à s’émanciper de l’autorité pontificale et à s’approprier la plus large part possible de la puissance spirituelle. Eux aussi, à un degré inférieur, sont redevenus Césars : Imperator et summus pontifex.
Ce fait capital domine toute la politique des quatre derniers siècles : il en est l’âme et le flambeau. Chaque page de l’histoire révèle la prédominance d’un élément hétérogène, qui n’est autre que le Césarisme, produisant chez les nations modernes, autant que peut le permettre la résistance de l’élément chrétien, les mêmes résultats qu’il produisit dans le monde antérieur à l’Évangile.
La distinction hiérarchique des deux puissances ; la suprématie sociale de la papauté ; l’union de tous les peuples chrétiens sous l’autorité du père commun ; la paix entre eux, la guerre toujours prête contre l’islamisme ou la barbarie qui rôde autour du bercail ; la religion, but suprême des sociétés, et non instrument de règne ; le bonheur éternel de l’humanité et non les jouissances matérielles du temps, fin dernière de toutes choses : telles sont les larges bases et les hautes visées de la politique chrétienne.
Autant qu’il le peut, le Césarisme moderne renverse. Son grand levier, c’est le droit civil et social de l’antiquité. Il se forme comme une conspiration générale pour le faire prévaloir. Oubliant les défenses des souverains pontifes qui en avaient interdit l’enseignement, surtout dans l’université de Paris, défenses qu’avait encore respectées l’ordonnance de Blois en 1577, Louis XIV ordonne par son fameux édit du mois d’avril 1679 que le droit romain sera enseigné partout, et en particulier dans l’université de Paris :
« Dorénavant les leçons publiques du droit romain seront rétablies dans l’université de Paris, conjointement avec celles du droit canonique, nonobstant l’article 69 de l’ordonnance de Blois, et autres ordonnances, arrêts et règlements à ce … À la rentrée prochaine des écoles, le droit canonique et civil sera enseigné dans toutes les universités du royaume. »
Voyez le progrès ! De Thou, Budée, M. Fournel nous ont dit qu’au seizième siècle le droit coutumier et le droit canonique régissaient encore le royaume : aujourd’hui on leur donne un rival dans le droit romain, et ce rival finira bientôt par évincer ses deux adversaires et se mettre à leur place. Cette substitution malheureuse rencontra de vives oppositions dans l’esprit chrétien des populations, surtout en Allemagne.
Voici ce que rapporte le savant docteur Jarcke :
« L’introduction successive du droit romain, dit-il, avait altéré les anciennes relations patriarcales entre seigneur et vassal. Ce qui reposait sur la coutume particulière et purement locale, la présomption et l’inintelligence des juristes romains prétendirent le juger d’après la lettre d’un système de droit créé mille ans auparavant dans un autre pays et pour un autre peuple. Ces docteurs ne comprenaient ni les droits concernant les personnes, ni les droits constitutifs de la propriété existant chez les paysans allemands.
Aux uns, ils appliquaient les formes de la liberté et de l’esclavage chez les Romains ; aux autres, les théories romaines de l’emphytéose, de la servitude, du contrat de ferme. Toujours le droit étranger était posé comme la règle… Ainsi, plus d’une fois la théorie des juristes romains, tranchant à l’aveugle dans les rapports sociaux de l’Allemagne, déclare libres des paysans évidemment serfs, en asservit injustement d’autres, à cause de certains services et redevances qui avaient une tout autre signification.
Cette double méprise produisit de l’irritation et de l’aigreur. Chez tous se propageait ce sentiment pénible de l’incertitude du droit, mère féconde des grandes révolutions. De là cet article particulier du traité de Tubingen qui exclut des tribunaux les docteurs en droit romain, et garantit les anciennes coutumes du pays. »
Le Césarisme ne se tint pas pour battu. Malgré le traité de Tubingen, le droit romain continua sa marche envahissante, et ce retour forcé à l’antiquité classique fut la principale cause de la guerre des paysans, qui mit à feu et à sang tout le sud de l’Allemagne. Tandis que dans l’ordre civil le droit césarien, s’imposant comme une camisole de force aux nations chrétiennes, irrite et gêne tous les rapports sociaux, anéantit peu à peu les anciennes franchises, étouffe les traditions nationales et façonne les âmes au despotisme ; dans l’ordre social, il tend au même but, et change toutes les anciennes relations des rois avec les peuples, des rois avec les rois, et, enfin, des nations avec l’Église.
De là, pour bien constater son influence, trois grands points de vue sous lesquels il faut l’envisager : la politique intérieure, la politique extérieure et la politique vis-à-vis le Saint-Siège. Or, nous pouvons le dire d’avance, le dernier mot de tout cela est, comme dans l’antiquité, l’omnipotence de l’autorité temporelle ou l’apothéose de l’homme.
Politique intérieure.
À quelques différences près, en plus ou en moins, la politique intérieure a été la même dans toute l’Europe depuis la Renaissance. Il faut en excepter l’Angleterre, qui, suivant le mot si remarquable de John Russe!, s’aperçut à temps que les études païennes menaçaient sa constitution, et qui eut le bon esprit de les restreindre dans de telles limites qu’elles cessèrent d’être un danger. Sous l’influence des reines de la maison de Médicis et des Italiens qui les accompagnèrent, la France marcha d’un pas rapide dans la voie du Césarisme.
« Auparavant, dit Gentillet, on s’était toujours gouverné à la française, c’est-à-dire en suivant les traces et enseignements des ancêtres; mais depuis on s’est gouverné à l’italienne et à la florentine, c’est-à-dire en suivant les enseignements de Machiavel Florentin. »
Or, un des points fondamentaux de la politique de Machiavel, qui n’est, comme nous l’avons montré, que le Césarisme ancien, consiste à élever l’autorité du prince sur les ruines de tout ce qui pourrait lui faire obstacle ou lui porter ombrage.
Deux ministres fameux, Richelieu et Mazarin, secondés par les juristes, devinrent les instruments de cette politique d’absorption et d’absolutisme. Sous leurs persévérants efforts, disparurent les constitutions d’État, les privilèges de la noblesse, la plupart des franchises provinciales ; autant de pouvoirs pondérateurs du pouvoir suprême, autant de barrières au despotisme royal, qui jusqu’alors avaient rendu impossible le mot que Louis XIV prononça plus tard : ‘L’État c’est moi‘.
Après avoir décimé la noblesse par la guerre et par l’échafaud, Richelieu fit deux choses pour l’assujettir au joug du roi : il l’enchaîna par une foule de mesures vexatoires, entre autres par la fameuse ordonnance du mois de janvier 1629, et il la corrompit en l’appelant à la cour. Cette ordonnance interdit à la noblesse toute espèce d’assemblée, ne lui permit d’avoir qu’un petit nombre d’armes dans ses châteaux, et voulut qu’elle ne pût espérer aucun secours du dehors.
A lire aussi | Réflexions de Léon Degrelle sur l’agonie de son époque
En conséquence, elle déclara suspecte toute communication avec les ambassadeurs des princes étrangers, défendit de les voir et de recevoir aucune lettre de leur part, interdit à quiconque de sortir du royaume sans observer des formalités qui apprenaient à tous les Français qu’ils étaient prisonniers dans leur patrie.
» À la suite des reines données à la France par la maison de Médicis, dit Frédéric de Prusse, vint le cardinal de Richelieu, dont la politique n’avait pour but que d’abaisser les grands pour élever la puissance du roi, et pour la faire servir de base à toutes les parties de l’État. Il y réussit si bien qu’aujourd’hui il ne reste plus vestige en France de la puissance des seigneurs et des nobles, et de ce pouvoir dont les rois prétendaient que les grands abusaient. Le cardinal Mazarin marcha sur les traces de Richelieu. Il essuya beaucoup d’opposition, mais il réussit. La même politique qui porta les ministres au rétablissement d’un despotisme absolu en France leur enseigna l’adresse d’amuser la légèreté et l’inconstance de la nation pour la rendre moins dangereuse.«
Non seulement ils amusèrent la nation en la distrayant de ses affaires domestiques pour la façonner à la docilité monarchique, mais ils l’avilirent.
« En occupant les esprits de ce que les arts, les sciences, les lettres et le commerce ont de plus inutile et de plus attrayant, ils amenèrent le luxe, dont la contagion fit naître de nouveaux besoins qui ruinaient les grands. Forcés de mendier des faveurs pour étaler un vain faste, ils se préparaient à la servitude. La contagion fut portée dans tous les ordres de l’État, et des hommes obscurs firent aux dépens du peuple des fortunes scandaleuses. On les envia, et l’amour de l’argent ne laissa subsister aucune élévation dans les âmes. »
La Renaissance leur vint merveilleusement en aide. Elle avait créé le théâtre, les ballets, les fêtes Olympiques, que le Père des lettres, François Ier, avait introduits en France.
« Depuis son règne, dit Sully, on ne voyait ni n’entendait parler que d’amour, danses, ballets, courses de bague et autres galanteries, dans ce pays où résidaient les quatre cours de Catherine, de Marguerite, de Monsieur et du roi de Navarre. »
De tout leur pouvoir, Richelieu et Mazarin les encouragèrent…
Source : La révolution, recherches historiques – Mgr Gaume – 1856
On se demande comment il est possible, sinon par une ignorance excusable mais dommageable, de s’appuyer sur une telle accumulation d’approximations, d’erreurs et de parfaites contre-vérités.
Il faut rappeler que c’est de Rome que vint la renaissance des arts et des sciences dont Gaume fait la cause de la révolution.
Rome resta culturellement en retard tant que les papes résidèrent à Avignon. Leur retour dans l’ancienne capitale des Césars fut la cause de la Renaissance. Léon X et Raphaël, Sixte IV et la reconstruction de Rome, la fondation de la bibliothèque du Vatican par Martin V sont connus de tous les spécialistes ; et le rôle politique sans précédent de la papauté marqua la Renaissance.
La Renaissance ? Due aux papes, c’est un fait. La révolution ? Due à la Renaissance selon Gaume le césaro-papiste.
Gaume prétend que ce fut la Renaissance qui causa la révolution donc en fait l’influence du pape ; il prétend que la période depuis la renaissance jusqu’à son temps connaissait plus de crimes que le Moyen-Âge qui précéda, ce qui est insoutenable ; il nous dit que Versailles ne réagit pas aux manœuvres de la poignée de révolutionnaires, ce qui est vrai, mais il fait ensuite de Louis XVI la victime de cette inertie – or Versailles, c’était Louis XVI.
Gaume lui-même s’appuyait sciemment et ouvertement sur de Maistre, donc sur l’un des plus ignobles francs-maçons de l’histoire.
La contre-révolution légitimiste dans ses intellectuels s’est infectée du virus révolutionnaire. Elle en est le complice de fait par sottise énorme.
Il aurait fallu dire à toute cette série d’inconscients satanistes que jamais le pape, fût-ce Boniface VIII au temps d’Unam sanctam, ni non plus Innocent XI ou Alexandre VIII pourtant confrontés au coup des quatre articles, n’allèrent jusqu’au césaro-papisme.