Dans l’Histoire des Ariens, je découvris, sous des traits encore plus accentués, précisément le même phénomène que j’avais observé dans celle des Monophysites.
Étrangement, je ne l’avais pas remarqué en 1832. Ce que je n’avais pas cherché se présentait à moi. Oubliant les controverses du jour et suivant simplement le cours de mes études, je me plongeais dans ce qu’on appelle un sujet métaphysique. Soudain, il devint évident dans l’Histoire des Ariens que les Ariens purs étaient les Protestants, les semi-Ariens étaient les Anglicans, et que Rome, enfin, était alors ce qu’elle est aujourd’hui. La vérité résidait non dans la Via Media, mais dans ce qu’on appelait le « parti extrême ». Comme je n’écris pas un ouvrage de controverse, je n’ai pas besoin de développer l’argument ; j’en ai déjà parlé dans un livre que j’ai publié il y a quatorze ans.
J’étais en proie aux souffrances causées par ces incertitudes nouvelles, quand un second coup s’abattit sur moi. Les Évêques, l’un après l’autre, commencèrent à parler contre moi dans leurs Mandements. C’était un mouvement bien accusé, bien déterminé ; c’était réellement sur ce point-là qu’on s’était entendu. Le compromis sur lequel j’avais agi lors de l’apparition du Traité 90 était réduit à néant. Les termes dont on avait usé vis-à-vis de moi étaient, s’il m’en souvient bien, que « peut-être deux ou trois Évêques jugeraient nécessaire de dire quelque chose dans leurs Mandements » ; mais, depuis ce temps, ils avaient surmonté les difficultés causées par le Tract, et personne n’était là pour réclamer l’exécution du « compromis ».
Ils continuèrent donc à diriger ainsi leurs Mandements contre moi pendant trois grandes années. Je vis là une condamnation ; c’était la seule qui fût en leur pouvoir. J’avais d’abord songé à protester, mais, désespérant du succès, je renonçai à cette idée. Le 17 octobre, j’écrivis à un ami en ces termes :
« Je pense qu’il sera nécessaire, sous une forme ou sous une autre, de formuler une nouvelle affirmation du Traité 90 ; sans quoi il aura l’air, après ces Mandements des Évêques, d’avoir été réduit au silence ; or, il ne l’a pas été, et je prétends qu’il ne le soit point. Je voudrais me tenir tranquille ; mais, si les Évêques parlent, je parlerai aussi. Si cette opinion était réduite au silence, je ne pourrais demeurer dans l’Église, ni bien d’autres non plus ; donc, puisqu’elle n’est point réduite au silence, je prendrai soin de le prouver. »
Un jour ou deux après le 22 octobre, un étranger m’écrivit pour me dire que les Tracts for the Times avaient converti en catholique l’un de ses jeunes amis et me demander d’avoir la bonté de le convertir en sens inverse. Je répondis :
« Si les Tracts for the Times amènent des conversions en faveur de Rome, ce n’est point aux Tracts que je voudrais imputer le blâme, mais bien à ceux qui, au lieu de reconnaître les principes anglicans de théologie et de politique ecclésiastique qu’ils renferment, s’efforcent de les combattre. Quelle que soit l’influence des Tracts, petite ou grande, ils peuvent devenir précisément aussi utiles pour Rome, si notre Église les repousse, qu’ils le seraient pour notre Église, si elle les acceptait.
Si nos chefs attaquent les Tracts, ou gardent le silence si un plus ou moins grand nombre d’entre eux, non seulement ne favorise pas, mais ne tolère pas les principes qui y sont contenus, il est évident que nos amis se laisseront aisément persuader, soit d’abandonner ces principes, soit d’abandonner l’Église. Si cet état de choses continue, je prédis avec tristesse non pas une ou deux défections, mais un grand nombre de défections en faveur de Rome. »
Deux ans plus tard, jetant un regard en arrière sur ce qui s’était passé, je dis :
« On ne voyait point de gens convertis à Rome avant la condamnation du Traité 90. »
Enfin, comme si tout cela ne suffisait pas, survint alors l’affaire de l’Évêché de Jérusalem ; et c’est en la racontant brièvement que je terminerai. Je crois être dans le vrai en disant que depuis longtemps la cour de Prusse désirait introduire l’épiscopat dans la nouvelle Religion Évangélique, qui, dans leur intention, devait absorber à la fois les communions calviniste et luthérienne de ce pays.
Je crois bien, étant à Rome en 1833, avoir entendu parler de ce projet à l’hôtel du Ministre de Prusse, M. Bunsen, qui se montra, pour mes amis et moi, aussi hospitalier et aussi affable qu’il l’était généralement pour les visiteurs anglais. Je suppose que l’idée de l’épiscopat, telle que l’entendait le roi de Prusse, était très différente de celle qu’enseignait l’école des Tracts ; mais je suppose aussi que les écrivains influents de cette école auraient vu avec satisfaction une telle mesure exécutée en Prusse, si cela s’était fait sans compromettre les principes nécessaires à l’existence d’une Église.
Vers l’époque de la publication du Traité 90, M. Bunsen et l’archevêque de Canterbury d’alors, préparaient l’exécution de ce projet en nommant et en consacrant un Évêque pour Jérusalem. Jérusalem était considérée, à ce qu’il semble, comme un lieu sûr pour cette expérience, trop éloigné de la Prusse pour éveiller au dedans les susceptibilités d’aucun parti ; si le projet échouait, personne ne devait en souffrir ; s’il réussissait, il donnait au protestantisme une position en Orient, l’unissait aux communions monophysite, jacobite et nestorienne, et mettait ainsi entre les mains de l’Angleterre un instrument politique semblable à celui que trouvait la Russie dans l’Église Grecque, et la France dans l’Église Latine.
En conséquence, en juillet 1841, préoccupé de la difficulté anglicane sur la question de la catholicité, voici ce que je disais de ce projet de Jérusalem dans un article de la Critique britannique :
« Quand nos pensées se tournent vers l’Orient, au lieu de nous rappeler qu’il existe là des Églises chrétiennes, nous laissons aux Russes le soin de s’occuper des Grecs, aux Français le soin de s’occuper des Romains, et nous nous contentons d’élever à Jérusalem une Église protestante, ou d’aider les Juifs à y rebâtir leur temple, ou de devenir les protecteurs augustes des Nestoriens, des Monophysites et de tous les hérétiques dont nous pouvons entendre parler, ou de former une ligue avec les Musulmans contre les Grecs et les Romains réunis. »
Je n’ai pas la prétention, après tant d’années, de rendre un compte exact, complet et détaillé de cette mesure. Je dirai seulement que dans l’Acte du Parlement à la date du 5 octobre 1841 (si l’exemplaire que je consulte contient la mesure telle qu’elle passa devant les Chambres), des dispositions sont prises concernant « les sujets britanniques, et les sujets ou citoyens de tout pays étranger qui seront consacrés évêques en pays étrangers, qu’ils soient ou non par ailleurs sujets ou citoyens du pays dans lequel ils doivent agir, et sans exiger de ceux d’entre eux qui peuvent être sujets ou citoyens d’un royaume ou d’un état étranger quelconque, le serment d’allégeance et de suprématie, et le serment d’obéissance à l’archevêque du moment. »
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Il est dit aussi « que l’évêque ou les évêques ainsi consacrés peuvent exercer, dans les limites qu’il plaira à Sa Majesté de désigner de temps en temps à cet effet dans ces pays éloignés, la juridiction spirituelle sur les ministres des congrégations britanniques de l’Église unie d’Angleterre et d’Irlande, et sur telles autres congrégations protestantes qui pourront être désireuses de se placer sous son autorité ou sous la leur. »
Or ici, précisément au moment où les évêques anglicans dirigeaient leurs censures contre moi parce que j’avais confessé que je me rapprochais de l’Église catholique, sans dépasser toutefois ce que je supposais autorisé par les formulaires anglicans, ces mêmes évêques fraternisaient, par leur conduite ou par leur tolérance, avec les corps protestants, et leur permettaient de se placer sous un évêque anglican, sans exiger d’eux aucune abjuration de leurs erreurs, sans examiner s’ils recevaient dûment le baptême et la confirmation ; alors qu’il y avait de fortes raisons de supposer que ledit évêque était destiné à faire des conversions chez les Grecs orthodoxes et les corps schismatiques d’Orient, au moyen de l’influence de l’Angleterre.
Source : Histoire de mes opinions religieuses – Saint John Henry Newman – 1866