La Papauté a exercé de tout temps une action décisive sur les affaires d’Italie. Par le bras, par la voix, par la plume, par le cœur de ses innombrables évêques, prêtres, moines, religieuses et fidèles de toutes les latitudes, la Papauté trouve des dévouements sans cesse prêts au martyre et à l’enthousiasme.
Partout où il lui plaît d’en évoquer, elle a des amis qui meurent, d’autres qui se dépouillent pour elle. C’est un levier immense dont quelques papes seuls ont apprécié toute la puissance (encore n’en ont-ils usé que dans une certaine mesure).
Un franc-maçon disait dans l’Alta Vendita ou Les Instructions permanentes de la Haute-Vente :
« Aujourd’hui, il ne s’agit pas de reconstituer pour nous ce pouvoir, dont le prestige est momentanément affaibli ; notre but final est celui de Voltaire et de la Révolution française, l’anéantissement à tout jamais du Catholicisme et même de l’idée chrétienne, qui, restée debout sur les ruines de Rome, en serait la perpétuation plus tard.
Mais pour atteindre plus certainement ce but et ne pas nous préparer de gaieté de cœur des revers qui ajournent indéfiniment ou compromettent pour des siècles le succès d’une bonne cause, il ne faut pas prêter l’oreille à ces vantards de Français, à ces nébuleux Allemands, à ces tristes Anglais, qui s’imaginent tous tuer le Catholicisme tantôt avec une chanson impure, tantôt avec une déduction illogique, tantôt avec un grossier sarcasme passé en contrebande comme le coton de la Grande-Bretagne.
Le Catholicisme a la vie plus dure que cela. Il a vu de plus implacables, de plus terribles adversaires, et il s’est souvent donné le malin plaisir de jeter de l’eau bénite sur la tombe des plus enragés. Laissons donc nos frères de ces contrées se livrer aux intempérances stériles de leur zèle anticatholique, permettons-leur même de se moquer de nos madones et de notre dévotion apparente. Avec ce passeport, nous pouvons conspirer tout à notre aise et arriver peu à peu au terme proposé.
Donc, la Papauté est depuis seize cents ans inhérente à l’histoire de l’Italie. L’Italie ne peut ni respirer, ni se mouvoir sans la permission du Pasteur suprême. Avec lui, elle a les cent bras de Briarée ; sans lui, elle est condamnée à une impuissance qui fait pitié. Elle n’a que des divisions à fomenter, que des haines à voir éclore, des hostilités à entendre surgir de la première chaîne des Alpes au dernier chaînon des Apennins. Nous ne pouvons pas vouloir un pareil état de choses ; il importe donc de chercher un remède à cette situation. Le remède est tout trouvé. Le Pape, quel qu’il soit, ne viendra jamais aux Sociétés secrètes ; c’est aux Sociétés secrètes à faire le premier pas vers l’Église, dans le but de les vaincre tous deux.
Le travail que nous allons entreprendre n’est l’œuvre ni d’un jour, ni d’un mois, ni d’un an ; il peut durer plusieurs années, un siècle peut-être ; mais dans nos rangs, le soldat meurt et le combat continue.
Nous n’entendons pas gagner les Papes à notre cause, en faire des néophytes de nos principes, des propagateurs de nos idées. Ce serait un rêve ridicule ; et de quelque manière que tournent les événements, que des cardinaux ou des prélats, par exemple, soient entrés de plein gré ou par surprise dans une partie de nos secrets, ce n’est pas du tout un motif pour désirer leur élévation au siège de Pierre.
Cette élévation nous perdrait. L’ambition seule les aurait conduits à l’apostasie : les nécessités du pouvoir les forceraient à nous immoler. Ce que nous devons demander, ce que nous devons chercher et attendre, comme les Juifs attendent le Messie, c’est un pape selon nos besoins. Avec cela, nous marcherons plus sûrement à l’assaut de l’Église, qu’avec les pamphlets de nos frères de France et l’or même de l’Angleterre. Voulez-vous en savoir la raison? C’est qu’avec cela, pour briser le rocher sur lequel Dieu a bâti son Église, nous n’avons plus besoin de vinaigre hannibalien, plus besoin de la poudre à canon, plus besoin même de nos bras. Nous avons le petit doigt du successeur de Pierre engagé dans le complot, et ce petit doigt vaut pour cette croisade tous les Urbain II et tous les saint Bernard de la Chrétienté.
Nous ne doutons pas d’arriver à ce terme suprême de nos efforts ; mais quand ? mais comment ? L’inconnu ne se dégage pas encore. Néanmoins, comme rien ne doit nous écarter du plan tracé, qu’au contraire, tout y doit tendre, comme si le succès devait couronner dès demain l’œuvre à peine ébauchée, nous voulons, dans cette instruction qui restera secrète pour les simples initiés, donner aux préposés de la Vente suprême des conseils qu’ils devront inculquer à l’universalité des frères, sous forme d’enseignement ou de mémorandum.
Il importe surtout, et par une discrétion dont les motifs sont transparents, de ne jamais laisser pressentir que ces conseils sont des ordres émanés de la Vente. Le Clergé y est trop directement mis en jeu, pour qu’on puisse, à l’heure qu’il est, se permettre de jouer avec lui comme avec un de ces roitelets ou de ces principicules sur lesquels on n’a besoin que de souffler pour les faire disparaître.
Il y a peu de chose à faire avec les vieux cardinaux ou avec les prélats dont le caractère est bien décidé. Il faut les laisser incorrigibles à l’école de Consalvi, et puiser dans nos entrepôts de popularité ou d’impopularité les armes qui rendront inutile ou ridicule le pouvoir entre leurs mains. Un mot qu’on invente habilement et qu’on a l’art de répandre dans certaines honnêtes familles choisies, pour que de là il descende dans les cafés et des cafés dans la rue, un mot peut quelquefois tuer un homme. Si un prélat arrive de Rome pour exercer quelque fonction publique au fond des provinces, connaissez aussitôt son caractère, ses antécédents, ses qualités, ses défauts surtout.
Est-il d’avance un ennemi déclaré ? un Albani, un Pallotta, un Bernetti, un della Genga, un Rivarola ? enveloppez-le de tous les pièges que vous pourrez tendre sous ses pas ; créez-lui une de ces réputations qui effraient les petits enfants et les vieilles femmes ; peignez-le cruel et sanguinaire ; racontez quelques traits de cruauté qui puissent se graver dans la mémoire du peuple.
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Quand les journaux étrangers recueilleront par nous ces récits qu’ils embelliront à leur tour (inévitablement par respect pour la vérité), montrez, ou plutôt faites montrer, par quelque respectable imbécile, ces feuilles où sont relatés les noms et les excès arrangés des personnages. Comme la France et l’Angleterre, l’Italie ne manquera jamais de ces plumes qui savent se tailler dans des mensonges utiles à la bonne cause. Avec un journal, dont il ne comprend pas la langue, mais où il verra le nom de son délégué ou de son juge ; le peuple n’a pas besoin d’autres preuves. Il est dans l’effervescence du Libéralisme, il croit aux Libéraux comme plus tard il croira en nous nous savons trop quoi.
Écrasez l’ennemi quel qu’il soit, écrasez le puissant à force de médisances ou de calomnies : mais surtout écrasez-le dans l’œuf. C’est à la jeunesse qu’il faut aller ; c’est elle qu’il faut séduire, elle que nous devons entraîner, sans qu’elle s’en doute, sous le drapeau des Sociétés secrètes.
Pour avancer à pas comptés mais sûrs dans cette voie périlleuse, deux choses sont nécessaires de toute nécessité. Vous devez avoir l’air d’être simples comme des colombes, mais vous serez prudents comme le serpent. Vos pères, vos enfants, vos femmes elles-mêmes, doivent toujours ignorer le secret que vous portez dans votre sein, et s’il vous plaît, pour mieux tromper l’œil inquisitorial, d’aller souvent à confesse, vous êtes comme de droit autorisés à garder le plus absolu silence sur ces choses.
Vous savez que la moindre révélation, que le plus petit indice, échappé au tribunal de la pénitence ou ailleurs, peut entraîner de grandes calamités, et que c’est son arrêt de mort que signe ainsi le révélateur volontaire ou involontaire. »
Source : Mgr Delassus – Conjuration Antichrétienne Tome 3 – 1910