Les âmes du purgatoire sont constituées extra viam ; de là, impuissance absolue à mériter et à satisfaire par leurs propres œuvres.
Science des âmes du Purgatoire. Connaissent-elles Dieu, la cause de leur condamnation, leur sort éternel, la durée de leurs peines ? connaissent-elles les péchés les unes des autres ? voient-elles ce qui se passe sur la terre ? connaissent-elles les prières et les bonnes œuvres que l’on fait pour elles ?
C’est un beau sujet, mais bien obscur, car qui nous dira, avant de l’avoir éprouvé soi-même, ce qui se passe dans ces âmes toutes resplendissantes déjà de l’auréole de la Sainteté, bien que leur gloire soit encore voilée sous les ombres de la pénitence et de l’expiation. Il y a cependant au milieu de ces obscurités quelques points plus brillants qui servent à éclairer le reste, c’est à eux que je m’attacherai spécialement.
Une première vérité sur laquelle tout le monde est d’accord , c’est que les âmes du Purgatoire sont constituées extra viam; de là, pour elles, l’impossibilité absolue où elles sont de mériter davantage et d’expier quoi que ce soit autrement qu’en subissant leur peine, si elles pouvaient s’aider elles-mêmes par leurs œuvres, leur ferveur est telle et leur désir de voir Dieu si grand , qu’en un instant, au prix des plus grandes souffrances, le Purgatoire serait vide, mais elles sont plongées dans cette nuit éternelle dont parle l’Écriture.
Quelques théologiens catholiques ont pensé cependant que ces âmes peuvent mériter un accroissement accidentel de gloire, et même satisfaire pour leurs péchés véniels. Ce fut d’abord la pensée de saint Thomas, qui dit dans sa Somme (IV, dist. xxi , q. I , art. 3) :
« Après cette vie, on ne peut plus mériter ce qui fait l’essence même du bonheur du ciel, mais bien un accroissement accidentel de gloire, et cela tant que l’homme reste en quelque manière in via, c’est pourquoi dans le Purgatoire on peut mériter la rémission des fautes vénielles. »
Mais plus tard le grand docteur paraît avoir changé d’avis, car en traitant du mal (q . VII , art. 11 ) , il décide positivement que dans le Purgatoire , il ne peut y avoir aucun mérite, ni naturel, ni accidentel.
D’autres pensent, avec Sylvius ( q : LXXI , art. 2) , que les défunts ne peuvent ni mériter, ni satisfaire pour leurs fautes, mais ils peuvent s’aider eux-mêmes en priant ; et la raison qu’il en donne, c’est que l’Église dans sa Liturgie nous montre les âmes du Purgatoire priant pour elles-mêmes ; or, si elles peuvent prier, pourquoi cette prière serait-elle privée de tout mérite impétratoire ? Ces âmes sont saintes, elles apportent à la prière toutes les conditions de ferveur et d’humilité requises, l’objet de leur demande est conforme à la volonté de Dieu, puisqu’elles prient pour que son règne arrive en elles, pourquoi cette prière serait-elle inutile ?
Ainsi raisonnent les théologiens, et leurs raisonnements paraissent fondés, malheureusement, ils sont sur ce point en désaccord avec les révélations des saints, toujours c’est un long cri d’impuissance qui monte de l’abîme, et toutes les apparitions peuvent se résumer dans cette plainte lamentable :
« Ô vous qui êtes encore sur la terre, aidez-nous, car nous ne pouvons plus rien faire que souffrir, en attendant que nous ayons payé toute notre dette.«
Étudions maintenant ce qui se passe dans l’intelligence de ces âmes, que savent-elles de la vie future, que savent-elles de ce qui se passe sur la terre ?
Au moment de la mort, le voile s’est déchiré, l’âme a vu Dieu, dans la réalité, dans la majesté de sa gloire, elle a emporté dans les ténèbres de son cachot, comme une consolation et comme une espérance, l’adorable vision de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais tout le temps que dure son expiation, elle est privée de la vision béatifique car autrement le Purgatoire deviendrait aussitôt le Ciel et il n’y aurait plus de place pour la souffrance, ce n’est que lorsqu’elle aura passé le seuil rayonnant du ciel que son intelligence sera élevée à la claire vision de Dieu et du mystère de l’Éternité.
À l’heure du jugement, l’âme a vu sa vie tout entière, dans le livre de ses actes, elle a pu lire la cause de sa condamnation. Il semble naturel après cela de penser que ce souvenir de ses fautes l’accompagne au lieu de ses expiations. Néanmoins sainte Catherine de Gênes, au premier chapitre de son beau traité du Purgatoire, nous affirme positivement le contraire :
« Ces âmes ne sauraient plus se retourner vers elles-mêmes et dire : J’ai fait tels péchés, pour lesquels je mérite de rester ici, je voudrais ne les avoir pas faits parce que j’irais en Paradis, elles ne voient qu’une seule fois, au moment du passage de cette vie à l’autre, la cause du Purgatoire qu’elles ont en elles-mêmes, à partir de ce moment, elles ne la voient plus. » ( Traité du Purg, chap. 1. )
Malgré la haute autorité de sainte Catherine, j’ai peine à croire qu’il en soit ainsi. Pourquoi ce souvenir des fautes commises serait-il pour une âme une imperfection et un retour d’amour-propre ? La contrition qui nous fait pleurer nos péchés pendant la vie est-elle donc une imperfection, elle aussi ? D’ailleurs toutes les révélations que j’ai citées dans les chapitres précédents, attestent ce souvenir persévérant des fautes.
Les âmes qui viennent solliciter nos prières savent et disent pourquoi elles sont condamnées. Je suis donc forcé, à mon grand regret, de m’écarter sur ce point de l’autorité, si grave cependant, de sainte Catherine. Ce qui me permet d’être si hardi, c’est que j’ai pour moi sainte Françoise Romaine, qui m’apprend que, non seulement les âmes du Purgatoire ont le souvenir actuel de leurs péchés, mais encore qu’elles connaissent les péchés de tous ceux qui souffrent avec elles.
Cette vue, dit la sainte, les excite à de grands sentiments de conformité à la volonté de Dieu et les ravit d’admiration, parce qu’elles voient distinctement comment la justice divine punit chaque âme, précisément dans la mesure de ses fautes. Les âmes du Purgatoire se connaissent les unes les autres,
Ma sœur, disait une âme du Purgatoire à une religieuse inquiète du sort éternel de son père qui venait de mourir subitement, votre père est sauvé, mais il est condamné à vingt ans d’un terrible Purgatoire, cependant je dois ajouter, pour votre consolation, que votre petite sœur, vient d’être délivrée des flammes et qu’elle est au ciel.
Dans le même ordre de connaissances, il semble certain que les âmes du Purgatoire connaissent les réprouvés. J’ai cité, au chapitre v, l’exemple d’une religieuse qui disait à la bienheureuse Marguerite-Marie que la vue d’une de ses parentes, précipitée en enfer, lui avait causé un accroissement de douleur intolérable. Les âmes du Purgatoire connaissent-elles leur sort éternel ? sont-elles sûres de leur salut ?
Denys le Chartreux rapporte plusieurs faits qui semblent indiquer le contraire. Gerson pense que cette incertitude du salut est la plus grande peine du Purgatoire, quelques vieux théologiens sont du même avis, mais ce sentiment n’est plus soutenable, depuis qu’il a été condamné par Léon X dans Luther, qui en avait fait une de ses thèses. Aussi aujourd’hui tous les théologiens catholiques tiennent que les âmes du Purgatoire connaissent leur sort éternel, et les révélations des saints confirment, presque toutes, celle opinion.
Si donc on admet comme véritables les apparitions citées par Denys le Chartreux, et je crois que l’on aurait tort de les rejeter légèrement, il faut dire que cette incertitude du salut est une peine exceptionnelle et très grave, infligée à quelques âmes seulement. Ces âmes sont dans l’état de grâce, elles aiment Dieu de tout leur coeur, mais elles n’ont pas conscience de cet amour, comme cela est arrivé à plusieurs saints pendant leur vie.
Les âmes du Purgatoire connaissent-elles la durée de leur épreuve ? La grande majorité des théologiens le nie, mais j’avoue que j’ai bien de la peine à comprendre leurs raisons. Quand l’âme a été jugée, il semble naturel de penser que Dieu lui a fait connaître sa sentence, or la durée d’une peine, qui peut varier entre quelques heures et les siècles inconnus qui nous séparent du jugement dernier, n’est pas chose indifférente.
Comprendrait-on un juge qui, après avoir condamné un coupable à la prison, ne lui ferait pas connaître s’il s’agit de vingt ans de travaux forcés ou de quelques heures de détention ? Du reste, ce qui incline encore plus à me séparer sur ce point de la presque unanimité des théologiens, c’est que, dans toutes les révélations faites à de saints personnages, les âmes qui apparaissent connaissent et la durée de leur épreuve et les abréviations qu’y fera la divine miséricorde, en considération de telle ou telle bonne œuvre qu’elles sollicitent.
J’admettrais cependant, pour tout concilier, que, par une disposition spéciale de la justice de Dieu, certaines âmes ignorent la durée de leur châtiment, mais je pense que cette peine exceptionnelle, qui n’est pas médiocre, ne saurait faire loi générale. Voilà ce qui regarde la science que les âmes du Purgatoire ont de l’autre vie, voyons maintenant ce qu’elles connaissent de la vie présente.
Connaissent-elles ce que l’on fait pour elles ici-bas ! la plupart des théologiens disent non, mais les révélations des saints répondent, oui. Or, dans ces matières expérimentales, où le raisonnement tient peu de place, j’avoue que j’aime mieux m’en tenir aux affirmations des âmes elles-mêmes qu’à des déductions plus ou moins savantes.
On demandait un jour à une apparition, si les âmes du Purgatoire connaissent ceux qui prient pour elles, la réponse fut affirmative. On voyait quelquefois les âmes du Purgatoire prendre part elles-mêmes aux prières que l’on faisait pour elles.
On lit le fait suivant, dans la chronique des frères mineurs :
Le bienheureux François de Fabiano, franciscain, était très soigneux d’appliquer ses prières et bonnes œuvres au soulagement des défunts, et, chaque fois qu’il le pouvait, il célébrait pour eux la messe de Requiem, or, un jour qu’il terminait cette messe par la formule ordinaire : Requiescant in pace, (repose en paix) on entendit dans l’église, alors presque déserte, un chœur de voix nombreuses qui répondait : Amen !
C’était les âmes qu’il venait de soulager qui témoignaient leur joie en s’unissant à sa prière. Les âmes du Purgatoire nous voient-elles ? savent-elles ce qui se passe dans le monde, dans leur famille ? Oui, répond l’apparition arrivée à Malines en 1870, les âmes du Purgatoire nous voient, et la vue des péchés des leurs est un de leurs principaux châtiments. Les théologiens, Suarez entre autres, qui admettent que les âmes connaissent ainsi ce qui se passe sur la terre, se demandent par quel moyen cela se fait, la plupart concluent que les anges, spécialement l’ange gardien des âmes, sont les intermédiaires que Dieu charge de leur révéler les choses d’ici-bas, ce sentiment, qui est tout à fait conforme aux visions de sainte Françoise Romaine, me paraît certain, pourvu que l’on ait soin de réserver la liberté de Dieu, qui peut se passer de ces agents, ou en choisir d’autres à son gré.
Une dernière question au sujet de la science des âmes du Purgatoire : connaissent-elles les futurs contingents ? Ici, je suis tout à fait porté à répondre négativement avec la plupart des théologiens, car la connaissance des futurs contingents ne peut être communiquée aux âmes que par Dieu, et l’on ne voit pas pourquoi Dieu ferait ce don aux âmes du Purgatoire.
Néanmoins, il paraît prouvé par un certain nombre d’apparitions authentiques, que Dieu a fait quelquefois cette révélation. On a des preuves certaines de plusieurs prophéties réalisées, après avoir été faites, par des âmes du Purgatoire. C’est ainsi que la reine Claude, femme de François Ier, apparut, étant encore dans le Purgatoire, à la bienheureuse Catherine de Racconigi, et lui annonça que les Français, à la suite de leur roi, allaient descendre en Italie, et que le roi serait battu et fait prisonnier à Pavie. Quelques mois après, l’événement donnait raison à la prophétie.
Dans nos jours troublés, beaucoup de prophéties ont couru par le monde, et la voix infaillible du Vicaire de Jésus-Christ nous a avertis de ne pas croire à tout esprit, et de nous tenir en garde contre l’illusion. Plusieurs de ces prophéties étaient attribuées à des âmes du Purgatoire. Je les passerai sous silence, parce que l’événement ne les a pas encore justifiées.
À lire aussi :
Je ferai pourtant une exception pour cette apparition arrivée en Belgique, du mois de septembre au mois de décembre 1870, parce qu’elle fut examinée sérieusement et approuvée par l’autorité épiscopale, ce qui est une garantie.
Ayant été interrogée sur les malheurs de la France qui se précipitaient alors, et sur leur durée, l’apparition dit :
« La France est bien humiliée, mais elle est bien coupable aussi, elle a fait une lourde chute dont elle ne se relèvera qu’en redevenant chrétienne. Oui, la France se relèvera, mais il ne m’est pas permis de t’en dire le moment.«
Je termine sur cette parole consolante, ce que j’avais à dire de la science du Purgatoire. Puisse la prophétie se réaliser bientôt !
Source : Le purgatoire d’après les révélations – Abbé Louvet – 1883