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La femme d’autrefois à la femme moderne du XIXe siècle

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II parait que la femme à des ennemis, M. Arthur Desjardins l’a affirmé l’autre jour dans une brillante conférence ; il en a même désigné deux par leurs noms, Strindberg et Proudhon ; l’un d’eux est Scandinave, il est vrai, et l’autre mort, ce qui nous lave assez bien de tout reproche, nous autres Français vivants.

Mais si nos traditions chevaleresques nous empêche de faire au sexe faible des déclarations de guerre, il y a du moins parmi nous beaucoup d’hommes, et même quelques femmes, très disposés à rétrécir le plus possible le champ d’action féminin, à blâmer avec aigreur tout changement dans les habitudes, à se voiler la face parce qu’une jeune fille d’aujourd’hui n’a pas les mêmes manières d’agir et de parler que pratiquait son arrière-grand-mère sous la Restauration ou le Gouvernement de Juillet.

En face d’eux se dresse un bataillon plein d’ardeur pour la conquête des droits des femmes, résolu à se sacrifier à la préparation d’une ère nouvelle, et généralement fort exagéré dans ses peintures de la tyrannie sous laquelle la femme a vécu, parait-il, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours.

Ce sont là les partis extrêmes. Entre ces deux pôles, on trouve les partisans de la Femme d’autrefois, puis ceux de la Femme moderne : les psychologues qui n’accordent à la femme qu’une âme de second ordre, et ceux qui exaltent l’âme féminine ; les psychologues qui démontrent l’infériorité de la femme par la faible quantité de matière grise que contient sa cervelle, et ceux qui démontrent le contraire, avec un égal succès.

Tout ce monde se querelle avec un admirable entrain, une conviction passionnée, parfois avec une déraison si complète que l’on croirait assister à une discussion conjugale. Seulement, la discussion ne finit jamais par une réconciliation, comme cela arrive dans un bon ménage ; les collectivités ne se réconcilient pas ; elles sont abstraites et absolues.

La conférence de M. Arthur Desjardins m’a rappelé un tournoi assez bizarre pour et contre les femmes, dont la North American Review, était le théâtre il y a quelques mois. Un savant américain, le Dr Cyrus Edson, avait observé qu’il existe aux États-Unis, un assez bon nombre de femmes insupportables, et il avait révélé à ses contemporains cette importante découverte.

Pour une découverte américaine, ce n’était pas très inattendu ni très merveilleux, et l’on pouvait croire qu’une pareille révélation aurait lieu sans provoquer une émotion bien vive. Pas du tout, les femmes ont répondu ; elles ont répondu comme on répond dans une querelle causée par la mauvaise humeur. Elles n’ont pas nié qu’il y ait des femmes insupportables ; elles ont seulement affirmé que beaucoup d’hommes sont grossiers, dissolus, paresseux, égoïstes, tout aussi insupportables que les femmes nerveuses.

Impossible, on le voit, de mieux reproduire le désordre d’idées ordinaire aux querelles de ménage. On ne cherche pas à se convaincre, mais à se dire des choses désagréables ; je ne parle, bien entendu, que des très mauvais ménages, et par oui-dire.

Au milieu de ce chaos, on démêle cependant une idée dominante ; tous les combattants admettent, soit formellement, soit tacitement, qu’il y a quelque chose de changé dans la situation des femmes. Sont-elles plus nerveuses, plus taquinantes qu’autrefois ? ou bien ont-elles plus d’aspirations élevées, plus de personnalité, plus d’instruction ? Quelle que soit la théorie à laquelle vous vous rangiez, vous constatez par là même qu’entre la femme autrefois et la femme d’aujourd’hui, il y a une différence.

Voilà donc un fait acquis. Mais d’une façon bien vague. Est-il possible de le préciser un peu ?

Est-ce par simple fantaisie que la femme moderne diffère de la femme d’autrefois ? Ou bien y a-t-il quelque chose de change dans les conditions do sa vie, quelque chose qui l’oblige à se transformer ?

La seconde de ces hypothèses est seule admissible.

Il suffit de regarder autour de soi pour voir combien de choses se sont modifiées et se modifient sans cesse. La femme, comme l’homme, comme la société tout entière, est entraînée dans un mouvement général et inévitable. Nous vivons aujourd’hui encore avec cette idée que la femme trouve son occupation au foyer.

Cela n’est plus vrai pourtant au même degré qu’autrefois, et surtout cela n’est plus vrai de toutes les femmes. Autrefois, le foyer était un atelier gouverné par la maitresse de maison, atelier de filature et de tissage ; atelier de couture et de confection.

Aujourd’hui, il y a beau temps que la femme forte ne file plus la chaude laine et le fin lin ; le tricot, l’ouvrage élégant de broderie, la tapisserie, sont restés dans certains milieux comme les témoins de l’ancien état de choses, mais c’est par tradition que les mères de famille insistent pour que leurs filles aient les doigts occupés ; ce n’est plus par nécessité.

Les femmes qui gagnent leur vie à l’aiguille savent combien cela paie mal ; les seules qui arrivent à se faire des salaires raisonnables deviennent des artistes ou des commerçantes, mais les malheureuses lingères qui cousent à la tâche travaillent dix-sept heures par jour pour gagner de un à deux francs.

II est clair que ce n’est pas pour les quelques centimes afférents à deux ou trois heures de travail effectif que les femmes du monde prennent un ouvrage. Au point de vue économique, leur travail ne peut guère se défendre. II est beaucoup rémunérateur que la moins prospère des industries. Mais, dit-on, cela donne une occupation aux femmes !

II y aurait peut-être à se demander si on ne peut pas leur en trouver de plus propre à les développer; en tons cas, voila bien la constatation de sa déchéance : il est passé à l’état d’occupation, de distraction, comme le piano, la peinture sur porcelaine, ou la decalcomanie. On met les jeunes filles au travail à l’aiguille parce qu’on ne sait qu’en faire.

Ce n’est pas ainsi que l’on considérait les choses jadis. Une bonne maitresse de maison devait pour voir chaque année sa lingerie d’une certaine quantité de draps, nappes, serviettes, etc. Elle recevait de ses fermiers le chanvre et le lin en étoupes ; elle le faisait blanchir, filer, tisser, puis confectionner. Elle mettait ainsi en œuvre la laine de ses moutons ; c’était un véritable chef d’industrie.

Aujourd’hui, pour avoir une idée de ce rôle ancien de la femme, il faut aller dans quelques districts perdus des Highlands d’Écosse, ou de rares familles, filent, teignent et tissent le tartan aux vives couleurs ; ou bien, il faut se rendre chez les tribus nomades orientales ou la fabrication domestique des burnous et des tapis s’est encore conservée.

La femme n’était pas seulement chef d’industrie textile. Les soins du ménage prenaient souvent aussi pour elle l’importance d’une véritable fabrication. Et il n’est pas nécessaire de remonter à des ages très éloignés pour retrouver cela. Combien de ménages ruraux en France où c’est la femme qui pétrit et fait cuire le pain ?

C’était encore l’usage en Angleterre, dans les grandes villes, il y a quelques années, et j’ai recueilli de la bouche de femmes d’ouvriers le témoignage de l’immense soulagement que cela avait été pour elles lorsque cet usage s’était perdu en présence de facilités nouvelles, combien aussi de conserves de ménage, combien de petites recettes aujourd’hui délaissées parce que le commerce mieux pourvu, mieux outillé pour la distribution de ses marchandises, livre à meilleur marché des produits similaires ?

Au lieu de surveiller ses confitures, on achète de la marmelade d’oranges de Dundee ; au lieu de préparer les pâtés et conserves de toute nature dans sa maison, on les fait venir de chez Potin, et le bœuf américain se consomme sous diverses formes dans tous les coins de l’univers où pénètre une voie ferrée.

Ajoutez encore la disparition du lavage et blanchissage du linge à domicile. Un blanchisseur vient prendre votre linge sale et vous rapporte votre linge propre ; vous payez, et c’est tout. J’entends d’ici plus d’une lectrice me dire que l’ancienne méthode valait bien mieux, qu’elle était plus saine an point de vue hygiénique, qu’on savait ce qu’on mangeait, qu’on ne brulait pas le linge, qu’on faisait de meilleures étoffes.

Tout cela, je n’en disconviens pas, mais vous, Madame, qui avez la liberté de faire faire chez vous toutes ces différentes opérations, êtes-vous disposée à les entreprendre ? Voulez-vous en assumer la charge ? Non, n est-ce pas ? L’ennui d’un pareil souci ou tout simplement, des considérations d’ordre économique vous font choisir la méthode nouvelle, celle que vous déclarez détestable.

Nous sommes donc parfaitement d’accord : je ne prétends pas à l’excellence absolue du parti que vous avez pris ; je constate que vous le prenez librement, de vous-même, comme le plus raisonnable, le plus expédient dans les circonstances présentes. Et comme tout le monde est de notre avis, comme de plus en plus le foyer perd son caractère d’atelier de fabrication domestique, je me demande ce que va devenir la gardienne du foyer ?

Évidemment, sa situation a changé. En ce qui concerne la femme de la classe ouvrière, les occupations ne manquent pas au foyer, même après la disparition des travaux que nous avons dits. D’abord, cette disparition est moins complète en général ; le lavage et le blanchissage, notamment, sont presque toujours exécutés par la maitresse de maison, et puis la préparation des repas, les balayages et nettoyages, tout ce que font, en somme, les domestiques de gens plus fortunes, retombe sur elle.

Mais les femmes qui ont des domestiques, que peuvent-elles faire chez elles ? Mettons tout de suite de cote celles qui ont des enfants jeunes et qui s’en occupent. Le noble labeur de la maternité suffit à celles-la. ; nous pourrions nous demander ce qu’il leur faut pour être vraiment mères après qu’elles ont matériellement donné le jour à leurs enfants, pour les élever au vrai sens du mot, mais pour le moment, elles sont hors de cause.

Celles que je vise ne sont pas dans une situation exceptionnelle ; ces sont les femmes du monde dont les enfants sont au collège, ou établis séparément ; ce sont celles qui n’ont pas d’enfants, ou qui ne sont pas mariées ; ce sont celles qui n’ont pas grand-chose à faire chez elles quand elles ont commandé les repas et grondé un domestique sur l’insuffisance de son époussetage.

Celles-la, neuf fois sur dix, s’ennuient considérablement et ne le dissimulent pas. Et cet ennui n’est pas l’apanage des seules grandes dames, tant s’en faut ! Je me souviens d’une jeune femme de position très modeste, pensionnaire d’un boardinghouse de Brooklyn, dont le mari, fort occupé comme tout honnête américain, travaillait tout le jour à New-York ; elle bâillait et se morfondait, traduisait péniblement à coup de dictionnaire un méchant roman de l’Illustration et déclarait que les femmes américaines étaient fortes à plaindre.

En France, à Paris surtout, le néant de ce genre de vie est dissimulé par une certaine agitation matérielle. II y a tout d’abord l’agitation mondaine, non plus réservée, comme à New-York, aux « meilleurs quatre cents« , mais envahissant toutes les classes de la société Bourgeoise, débordant jusqu’à l’extrême limite de la classe ouvrière.

La forme la plus répandue et la plus abordable de cette agitation, ce sont les visites. Telle femme de fonctionnaire modeste ou d’employé subalterne ne peut pas se permettre facilement le luxe du théâtre ou les sorties du soir, qui exigent des frais spéciaux de toilette, mais elle promène tant qu’elle peut chez de soi-disant relations la toilette de ville indispensable.

Cela n’augmente pas très sensiblement sa dépense et cette raison lui paraît une justification complète de l’emploi de son temps. Au fond, elle pense que son temps n’a aucune valeur ; pourvu qu’elle ne grève pas le budget conjugal d’une manière exagérée, qu’importe ? Elle est une femme raisonnable, c’est-a-dire purement passive, n’entrainant pas son mari dans des complications financières, mais bonne à rien.

En province, on retrouve le même type dans beaucoup de villes ; il est seulement tempéré par le calme plus grand de la vie ambiante ; et puis, le cercle restreint où l’agitation mondaine se produit modifie son caractère ; le bavardage convenu ne trouvant plus le même aliment dans les innombrables distractions parisiennes, se venge sur le prochain ; la médisance devient amère, les petites coteries se déchirent.

Il y a aussi, dans de très petites villes, ou au fond de certaines campagnes, des femmes complètement absorbées par la tapisserie, le tricot, le train-train du ménage et l’économie ; le néant de leur vie, d’accord avec l’inactivité qui les entoure, finit par leur plaire et devient chez elles une seconde nature.

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Ces trois variétés ne sont au surplus que des formes différentes du vide : agitation dans le vide ou inaction dans le vide. Si vraiment la nature avait horreur du vide, comme on le croyait jadis, quelle hécatombe ce serait, et que de femmes disparaitraient, sans parler des hommes ! À côté de ces femmes parfaitement inutiles, il en est d’autres dont l’activité et le dévouement sont au-dessus de tout éloge.

Source : La science sociale, Tome XX – Edmond Demolins – 1895

Publié par Napo

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