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Sainte Hildegarde et son action sur l’élite de ses contemporains

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Sainte Hildegarde et son action sur l'élite de ses contemporains

On ne saurait se faire une idée de l’étendue et de l’importance de l’action exercée par Sainte Hildegarde sur l’élite de ses contemporains, si l’on ne tenait compte de sa volumineuse correspondance.

Il y a peu de trace de ses lettres avant 1148, époque où le synode de Trèves inaugura sa réputation ; mais, de 1152 à 1165, le flot monte sans cesse, s’accroissant de toutes les relations nouvelles que la Sainte a faites au cours de ses voyages.

La lettre, c’est, à défaut de la présence, le souvenir qui persiste.

« J’eus à répondre, dit-elle, et à donner des conseils à beaucoup de personnes de toute condition qui me les demandaient. »

Or, c’est au milieu de ses voyages, de ses luttes avec le chapitre de Mayence, alors qu’elle achevait, pendant sept ans d’un incessant martyre, son Livre de la vie des mérites, qu’elle dut, épuisée, accablée, suffire à cette correspondance ininterrompue ; car pas un jour ne se passait, qu’elle n’eût à donner son avis sur une foule de questions concernant les mystères les plus transcendants du dogme ou les infimes détails de la vie religieuse.

Si l’on excepte Saint Bernard, mêlé à tous les grands événements de son époque, on peut dire que la correspondance de Sainte Hildegarde est une des plus considérables et des plus importantes du siècle. Elle fournit à sa biographie trop incomplète un précieux supplément, malgré qu’on ne puisse assigner de dates précises à la plupart des documents qu’elle renferme.

Le cardinal Pitra, tout devin qu’il est, se trouve à leur propos le plus souvent réduit aux hasardeuses conjectures, parmi lesquelles, naturellement, il choisit les plus propres à confirmer ses hypothèses. Nous ne prétendons pas, dans ce chapitre, esquisser même un aperçu général de ces lettres.

Le champ en est trop vaste. Nous avons eu d’ailleurs l’occasion d’en citer quelques-unes en passant. Nous serions satisfaits, sans plus, de donner l’impression de leur puissance, pour que le lecteur pût juger de la force qui était en elles, et de l’influence qu’elles mirent entre les mains d’Hildegarde.

Le crédit de cette dernière était immense devant Dieu, immense aussi devait-il être auprès des hommes. D’ordinaire la correspondance de quelqu’un, vivant ou disparu, est le refuge particulier de son être intérieur. Sous la mobilité des impressions qu’on y trouve, le léger pli familier de l’âme se trahit, mille petits traits se découvrent qui donnent à la physionomie morale de l’écrivain un aspect qu’on ne lui avait point soupçonné.

Écrire, c’est livrer quelque chose de soi, du soi intime et vrai. Quand, au travers des œuvres d’un homme, on cherche sa secrète pensée, que l’on veut aller droit à son sentiment personnel, on se dirige vers sa correspondance, comme dans la maison d’un défunt, on interroge la pièce où il vécut davantage, où son intimité, naguère, s’abandonnait, où s’attarde à présent son souvenir, parce qu’en ce petit foyer enclavé dans le grand il a enclos plus de lui-même.

Rien de semblable chez Hildegarde. Ses lettres — à de rares exceptions, celle par exemple à Hartwich ou celle à la malheureuse veuve du comte Ilermann — ont un caractère impersonnel très marqué. Il ne faut pas y chercher ce charme de l’abandon et du cœur à cœur d’une causerie ou d’une confidence.

Ses lettres, ce sont des papiers d’affaires… spirituelles. En écrivant copieusement, comme elle le fait, elle ne sacrifie pas à la mode du genre épistolaire qui sévit sur le Moyen Âge. Écrire peut être pour un Guibert de Gambloux un agréable amusement qui sent l’école et l’antiquité classique ; pour elle, c’est une forme de l’action.

Elle se propose toujours un but ; mais elle se dissimule derrière ce but. Elle semble, sorte de médium surnaturel, parler au nom d’un autre. Qu’elle exhorte, sermonne, vitupère ou menace — ce qui est le ton habituel de ses épîtres — on sent qu’elle le fait par ordre. À peine trouve-t-on de loin en loin dans l’austérité grandiose de ce désert, quelques oasis où un élan vraiment humain jaillit de son cœur. Et alors subsiste tout au long cette impression de décevant mirage.

On espère à la lumière intime de ses lettres la voir de plus près, et elle s’éloigne tout au contraire dans cette sorte de halo surnaturel qui ne la quitte pas. On ne saurait nier toutefois que la correspondance de Sainte Hildegarde contrôlée par l’histoire, ne soit quelque peu sensationnelle en raison des prophéties qu’elle contient et qui intéressent soit le sort des destinataires, soit l’Église en général ; mais encore ce caractère prophétique, obnubile son style et enveloppe sa pensée d’énigmes quelque peu sibyllines.

C’est donc moins le portrait de la Sainte qu’il faut chercher dans sa correspondance que la physionomie de l’époque, ses troubles, ses convulsions, ses inquiétudes de conscience. À ce titre, elle offre un immense intérêt. Hildegarde, sans être comme Saint Bernard facteur actif dans les événements, influe sur ceux qui les provoquent ou les subissent.

Son rôle est effacé ou plutôt mystérieux comme celui de la Providence qui agit sur la scène humaine sans que nous puissions pénétrer le secret des coulisses. La nomenclature de ses correspondants ressemble à la pompe superbe des cortèges se rendant aux diètes plénières avec le souverain pontife et l’empereur en tête.

Parmi eux, il y a des papes — tous ceux qui ont vécu et bataillé de son temps : — Eugène III, Anastase IV, Adrien IV, Alexandre III ; des empereurs : Conrad, Frédéric Ier ; des princes et des reines : Philippe de Flandre, la reine Éléonore d’Angleterre, le jeune roi Henri, le futur bourreau de Thomas de Cantorbery, Berthe, reine de Grèce, épouse d’Emmanuel Comnène, Gertrude, comtesse palatine, Mathieu, duc de Lorraine ; des Saints : Saint Bernard, Saint Éberhard de Salzbourg, Élisabeth de Schonau.

Il faut citer encore des cardinaux romains, les tout-puissants archevêques d’Allemagne, les évêques de France et de Belgique, les abbés et abbesses de monastères florissants, en tout pays, des communautés de prêtres, des maitres de l’université de Paris, certaine somnambule de Lausanne qu’elle malmène assez durement, etc., etc., et la liste en serait longue à ne citer que les plus illustres.

On dirait de nos jours que ce sont là de belles relations d’un cosmopolitisme effréné et d’une impeccable distinction. Inspirée par l’intelligence surnaturelle des besoins de l’Église ou des dangers qui la menacent, Hildegarde écrit au Pape, comme le faisait Saint Bernard, avec une rare franchise d’allure qui n’exclut pas l’humilité dans la pensée ou l’expression.

Elle s’excuse toujours d’oser ce qu’elle ose ; elle n’est que le « chétif édifice touché par Dieu » et qui, à la façon d’un écho, renvoie le son. Au surplus, ce sont le plus souvent les Papes qui, apercevant de la barque de Pierre que la tempête tourmente ce fanal mystérieux, cinglent vers elle, lui demandant avis et prières ; et l’on est saisi devant ces deux humilités qui s’inclinent dans un beau geste de foi chrétienne.

Elle proclame la grandeur de la charge ; mais c’est pour que l’homme qui en est investi se grandisse à sa hauteur. Elle se rencontre avec saint Bernard.

« Vous vous glorifiez de votre trône, écrivait celui-ci à Eugène III; mais ce n’est là qu’une éminence pour découvrir au loin tout ce qui se passe ; le nom d’évêque vous a été donné à cette fin. »

Hildegarde, dans son langage plus mystique, lui écrira :

« Vous qui voulez avoir la puissance d’une grande gloire dans le palais du roi, dilatez la Justice du Très-Haut. »

Et elle ajoute :

« Soyez miséricordieux aux malheurs publics et privés, parce que Dieu ne méprise pas les souffrances de ceux qui le craignent. »

Et sans cesse apparaît chez elle le souci des opprimés. Cela revient dans ses lettres comme leitmotiv douloureux. Elle est la voix de la Justice méconnue qui crie vers ceux qui en détiennent quelques lambeaux.

Plus ses correspondants sont puissants, plus elle fait monter vers eux, ardente et irritée, la plainte des victimes dont elle semble les rendre responsables.

À Anastase IV (1153-54), un vieillard presque centenaire « qui désire avoir de ses lettres, à l’exemple de ses prédécesseurs », elle répond ex abrupto :

« O homme, qui avez cru pouvoir vous désintéresser de l’orgueilleuse jactance de ceux qui vous entourent, pourquoi ne sauvez-vous pas les naufragés qui, sans secours, ne peuvent échapper à leur perte… Vous ne vous souciez pas de la Justice, cette fille du roi, objet de l’amour du ciel, et qui fut confiée à vos soins.

Vous la laissez gisante à terre, cette royale, dépouillée de son diadème et de sa tunique par la brutalité de vos administrateurs, ces hommes qui aboient comme des chiens et qui gloussent de loin en loin dans la nuit, comme des poules, pour l’inepte plaisir de faire entendre leur voix. Vous laissez le mal lever fièrement la tète ; et cela par crainte de ces hommes détestables qui aiment la richesse plus que la justice. »

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Enfin, après avoir prédit très clairement les malheurs qui, dans quelques années, vont fondre sur Rome, « parce qu’elle n’a pas aimé d’un ardent amour la Justice, fille du roi », elle termine sa lettre par cette exhortation : « Vous, ô homme établi, pasteur aux yeux de tous, levez-vous, allez vous rallier au plus vite à la Justice, afin que le médecin suprême ne vous accuse de n’avoir pas purifié son bercail ni fait l’onction aux brebis malades. »

Source : Sainte Hildegarde par Paul Franche – 1903

Publié par Napo

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