Dans la quête spirituelle, nombreux sont ceux qui recherchent la présence divine dans leur vie. Cependant, cette présence n’est pas toujours évidente et peut parfois sembler cachée au milieu des épreuves et des tourments.
Le Disciple. — Seigneur, je constate que vous êtes un ami secret et mystérieux. Mais dites-moi, quels sont les signes de votre présence ? Comment pourrais-je la reconnaître ?
La Sagesse. — Tu ne pourras jamais mieux reconnaître et apprécier ma présence qu’au moment où je me cache, où je me retire de l’âme qui m’appartient. C’est alors que tu sauras par expérience ce que je suis et ce que tu es : on connaît le soleil par ses rayons, dont on ne peut contempler le foyer. Je suis le Bien suprême, éternel, sans lequel tu ne serais pas, sans lequel rien de bon n’existerait. Je rayonne, je me communique aux créatures et je les revêts de bonté. Ce sont mes dons qui révèlent ma présence, mais moi, je ne me montre jamais à découvert. Rentre en toi-même, et distingue les roses des épines, les fleurs de l’herbe des champs. Aime la vertu et déteste le vice ; connais-moi et connais-toi, tu auras alors des signes certains de ma présence cachée.
Le Disciple. — Très doux Jésus, je remarque en moi une grande diversité d’existence. Quand vous vous éloignez, je deviens comme un malade à qui rien ne plaît, à qui tout répugne : mon corps est faible et engourdi, mon âme est pesante ; à l’intérieur, je suis dans l’aridité ; à l’extérieur, dans la tristesse ; tout ce que je vois, tout ce que j’entends me déplaît, et cela, sans raison. Je me sens porté au mal, faible contre l’ennemi, et sans énergie pour le bien ; enfin, je suis comme une maison bouleversée par l’absence du père de famille.
Mais lorsque votre lumière brille dans mon âme comme une étoile divine, l’obscurité disparaît. La douleur m’abandonne, mon cœur sourit, mon esprit s’élève, et mon âme trouve en tout sa joie et son bonheur; tout ce qui m’arrive au dedans et au dehors se change en actions de grâces. Ce qui me semblait d’abord onéreux, dur, désagréable, me devient tout à coup doux et facile.
Les jeûnes, les veilles, les épreuves de la vie, dès que vous êtes présent, me paraissent des plaisirs. Dans cet état, j’éprouve une grande confiance et une ardeur que je ne ressens jamais lorsque je suis seul et abandonné. Mon âme déborde pour ainsi dire de clartés, de vérités lumineuses; mon cœur se remplit de douces méditations, ma langue s’exprime avec chaleur, mon corps ne craint aucune fatigue, et tous ceux qui m’approchent et me parlent s’en vont éclairés et contents.
Enfin, il me semble que j’ai triomphé du temps et de l’espace, et que j’habite déjà les parvis de la Jérusalem céleste. Oh! que je serais heureux si cet état pouvait durer! Mais, hélas! Ma félicité disparaît tout à coup ; je retombe dans ma nudité, dans mon aridité première ; ma tristesse s’accroît des regrets de mon bonheur perdu, et il faut bien du temps, bien des larmes, bien des soupirs avant de revenir à mes délices. Quelles alternatives, Seigneur ! Où en est la cause ? Est-elle en vous ou en moi ?
La Sagesse. — Tu n’as en toi que des vices et des défauts ; je suis, et tu n’es pas : c’est là ce qui entretient l’amour. Tant que celui qui aime possède son ami, il n’en comprend pas bien la douceur; mais lorsque cet ami s’éloigne, il apprécie le charme de sa présence.
Le Disciple. — Très doux Jésus, enseignez-moi donc comment je dois agir avec vous pour arriver, autant que le permettra ma faiblesse, à cet état de pureté et d’union.
La Sagesse. — Dans le temps de l’affliction, rappelle-toi mes consolations, et quand je te consolerai, n’oublie pas les épreuves que je t’ai fait supporter. C’est le moyen de ne pas t’enorgueillir lorsque tu jouiras de ma grâce, et de ne pas te laisser abattre lorsque tu seras dans l’affliction ; et si, à cause de ta fragilité, tu ne te sens pas la force de renoncer à mes douceurs spirituelles, attends-les avec patience et recherche-moi avec amour.
Le Disciple. — Seigneur, l’espérance qui attend trop longtemps est un véritable tourment.
La Sagesse. — Mon fils, celui qui veut aimer ici-bas a besoin de jouir de ce qu’il aime et d’en être privé tour à tour, de passer de la joie à la tristesse, et de comparer le bien avec le mal. Ne crois pas qu’il suffise de penser à moi une heure par jour seulement. Celui qui veut entendre intérieurement mes douces paroles, et comprendre les secrets et les mystères de ma Sagesse, doit toujours être avec moi, toujours penser à moi.
Pourquoi être si distrait de ma présence, puisque je ne le suis jamais de la tienne ? Je tiens sans cesse mes yeux attachés sur ton âme ; pourquoi ton cœur m’abandonne-t-il souvent pour errer dans des pensées étrangères ? Comment recevoir mes inspirations et écouter les confidences de mon amour au milieu de tant d’images vaines et de ces choses auxquelles il faudrait d’abord mourir ? Tu m’oublies, moi, le Bien unique suprême, éternel, lors même que tu es tout inondé de ma divine présence. N’est-il pas honteux d’avoir en soi le règne de Dieu, et d’en sortir pour s’occuper des créatures ?
Le Disciple. — Et quel est, Seigneur, ce règne de Dieu qui est au dedans de moi-même ?
La Sagesse. — La justice, la sainteté, la paix, la joie dans l’Esprit saint.
Le Disciple. — Mon Jésus, je comprends vos paroles, et je vois que vous avez pour l’âme des voies secrètes et cachées ; que vous la retirez d’elle-même peu à peu pour la soutenir et la porter à aimer et à connaître votre divinité ; et c’est ainsi que l’âme, en méditant sur votre seule humanité, commence à entrer dans l’abîme de votre Majesté.
Le Disciple. — Seigneur, daignez répondre aux plaintes de ceux qui disent : « L’amour de Dieu est véritablement d’une douceur extrême, mais ne le paie-t-on pas bien cher ? Pour le goûter, il faut supporter des croix, des épreuves cruelles ; il faut endurer la haine, les persécutions et les mépris du monde. Dès qu’une âme veut entrer dans les voies de l’esprit et de l’amour, elle doit se préparer à toutes sortes de peines. Peut-on, Seigneur, trouver de la douceur dans ces afflictions, et comment permettez-vous qu’elles arrivent à vos amis ?«
La Sagesse. — Je n’ai jamais autrement traité mes serviteurs et mes amis depuis le commencement du monde. Je les aime comme mon Père m’a aimé. C’est de cela que les hommes se plaignent, mais ils ont bien peu de foi, de courage et d’intelligence de la vie spirituelle. Mais toi, mon ami, sors de la fange des plaisirs matériels, et regarde avec les yeux de ton âme qui tu es, où tu es, où tu vas ; et alors tu comprendras qu’en affligeant mes amis je suis loin de leur nuire, mais que je leur suis au contraire très agréable et très utile.
Par nature, tu es un miroir de la Divinité, une image de la sainte Trinité, un reflet de l’éternité : il y a en toi un désir sans bornes que je puis seul satisfaire parce que je suis le seul bien infini ; et de même qu’une goutte d’eau disparaît dans l’Océan, tout ce que peut te donner le monde n’est rien pour ton cœur insatiable, tant que tu seras dans cette vallée de misère, où le bien est toujours mêlé au mal, le rire proche des larmes et la joie voisine de la tristesse.
Personne ici-bas ne peut jouir d’une paix parfaite ; le monde est faux et menteur, il promet beaucoup, et tient peu ; ses joies sont petites, frivoles et passagères. Aujourd’hui, il paraîtra t’offrir des consolations, et demain il t’accablera de douleur : ce sont là ses plaisirs. Considère d’un côté les remords, le désespoir, les frayeurs mortelles et les tourments des damnés, et de l’autre la tranquillité d’esprit, la mort paisible et la gloire éternelle de mes serviteurs, et tu verras si c’est à tort que se plaignent les hommes du monde.
Examinons ensemble les souffrances endurées par ceux qui, durant cette vie éphémère, s’adonnent aux plaisirs du corps et des sens. À quoi leur servent les joies temporaires, qui s’évanouissent comme si elles n’avaient jamais existé ? Combien est éphémère le bonheur suivi d’une douleur sans fin !
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Insensés, où est maintenant votre appel au plaisir lorsque vous clamiez : « Accourez, jeunes gens dont le cœur est toujours joyeux, oublions tous les chagrins, livrons-nous aux délices du monde ; à nous les fleurs, les roses, la verdure, les festins, la volupté des sens et de la chair » ? Que vous en reste-t-il désormais ?
Ne pouvez-vous pas maintenant vous écrier :
« Malheur à nous ! N’aurait-il pas mieux valu que nous ne fussions pas nés ?«
Temps misérable et passager, comme la mort nous a surpris à l’improviste ! Comme le monde nous a trompés indignement ! Toutes les croix les plus longues et les plus douloureuses de la vie ne sont rien en comparaison de ce que nous endurons. Bienheureux celui qui n’a jamais goûté les joies du monde, qui n’a jamais connu un jour tranquille et prospère ! Les affligés, loin d’être abandonnés de Dieu, reposent désormais dans son sein, tout couronnés de gloire et d’honneur, entourés des anges du paradis. Que leur importent les croix souffertes en cette vie, les mépris et les persécutions du monde, puisque tous leurs tourments se sont mués en un bonheur si parfait, en des joies éternelles !
Ô douleur, ô malheur infini, ô fin qui ne finit pas, ô mort plus cruelle que toute mort ! Toujours mourir, et ne pouvoir jamais mourir ! Adieu, mon père, adieu, ma mère, adieu, mes amis, je ne jouirai plus de votre présence. Ô séparation terrible, comme elle torture, comme elle déchire ! Ô larmes, ô gémissements que rien n’arrêtera ! Montagnes, collines, rochers, pourquoi ne nous ensevelissez-vous pas sous vos ruines pour mettre fin à tant de misère !
Temps qui passe, combien tu aveugles les cœurs ! Voilà donc à quoi m’a servi d’avoir passé ma jeunesse dans les plaisirs de la chair et les délices des sens !
Ô vie perdue, malheur incompréhensible ! Plus aucune lueur d’espérance ne perce cette obscurité !
Source : Oeuvres du Bienheureux Henri Suso – E Cartier 1856