Pour tenir en échec les divers corps qui entourent les royalistes vers Saumur, La Rochejaquelein propose d’envoyer des détachements sur la route menant à cette ville. Il est chargé de l’exécution de son plan.
Seules quelques centaines d’hommes lui sont nécessaires ; pourtant, toute l’armée se présente et se met à sa suite.
« Vive le roi ! » répète-t-elle avec enthousiasme, « nous allons à Saumur. » En effet, elle s’y dirige, et bien que le trajet ne soit pas long, il est empreint de gloire.
Cette ville est située sur la rive gauche de la Loire et est l’une des clés les plus importantes de la région. Elle dispose de défenses naturelles telles que son château, véritable citadelle médiévale, qui, grâce à sa position et à son artillerie, est à l’abri de toute attaque, ainsi que la rivière du Thouet et les fortifications de Bournan, érigées en toute hâte par crainte après la prise de Thouars.
Afin d’empêcher les paysans de se cacher derrière les murailles des jardins et de mener une guérilla, il a été ordonné de détruire les murs des clos de vigne. Les commissaires de la Convention, dont la défaite à Fontenay n’a pas ébranlé les espoirs, déploient à Saumur un grand déploiement de forces.
Les divisions de Berruyer, de Santerre, de Berthier, de Menou, ainsi que celle dont Ligonnier vient de se voir arracher le commandement par les représentants du peuple, sont réunies dans un espace restreint. Le 9 juin, le général Coustard arrive également, sans chevaux, sans armes, dans un dénuement complet, et selon les récits de Philippeaux, membre de la Convention, c’est le général révolutionnaire Ronsin qui, près des Ponts-de-Cé, a pris à Coustard tous ses équipements militaires. La nuit du 9 au 10 juin se déroule presque dans un corps à corps ; mais il y a là une profonde leçon dans l’attitude et le contraste des deux camps !
Les royalistes prient ou chantent à haute voix les strophes du « Vexilla« , puis, à la veille du combat, ils se réconcilient avec Dieu par la confession et la pénitence. Ils sont prêts à mourir le lendemain. Le 9 juin étant un dimanche, jamais peut-être le jour du Seigneur n’a été célébré avec autant de piété.
Au même moment, à quelques pas de là, la révolution inaugure à Saumur le bonnet rouge, symbole de sa liberté. À la suite de cette célébration, des motions frénétiques sont proposées. On exacerbe la populace contre les riches, on désigne les aristocrates dont le peuple se débarrassera après la victoire pour partager leurs propriétés. Dans les rues, on crie le bonheur de l’égalité et la mort des royalistes. Seuls les premiers coups de canon tirés par l’armée mettent fin à cette orgie.
Impatients de vaincre, les Vendéens n’ont accordé à leurs généraux que le temps nécessaire pour prendre les dispositions indispensables, puis, remplis d’une confiance qui ne sera pas trahie, ils se précipitent à l’assaut. Le général Menou, ayant sous ses ordres Berthier, Santerre, Coustard et Berruyer, prend le commandement supérieur de la ville et des troupes républicaines. Il répartit ses forces et ses généraux sur les points où il prévoit qu’il sera le plus facilement débordé. La Rochejaquelein est opposée à la division campée dans les prairies de Varin. Lescure bloque par le pont Fouchard ; Cathelineau et Stofflet montent sur les hauteurs pour faire diversion en simulant une attaque sur le château et ainsi couvrir les assaillants.
Lescure lance l’attaque, mais est blessé. À cette vue, ses soldats battent en retraite.
« Ce n’est rien, mes amis », leur crie-t-il, « je reste au feu ». Et il y reste en effet. Un régiment de cuirassiers républicains, commandé par le colonel Chaillou, observe ce mouvement de retraite. Il se lance pour décider de l’issue. Les balles des paysans glissent sans atteindre ces armures étincelantes au soleil. Les paysans sont pris de peur et commencent à battre en retraite. Dommaigné charge à la tête de sa cavalerie. Il est mortellement touché, renversé, piétiné sous les sabots des chevaux. Mais en tombant, il atteint le colonel Chaillou et le blesse grièvement.
Le désordre règne dans les rangs royalistes. Un accident fait plus pour rétablir l’affaire que la bravoure elle-même. Les forces royalistes fuient. Sur le pont Fouchard, deux caissons sont renversés par hasard et arrêtent les cuirassiers lancés à la poursuite de l’ennemi. Lescure rallie ses soldats. Loyseau, du village de Trémentine, celui-là même qui, à Fontenay, a su avec Forêt enlever Marie-Jeanne aux Bleus, et qui, en défendant ici Dommaigné, a eu trois chevaux tués sous lui, mais qui, en revanche, a tué trois cavaliers républicains, est blessé. Il se relève et se place avec Lescure à la tête des fantassins.
Les balles vendéennes s’émoussent sur les cuirasses. Les royalistes passent leurs fusils à travers les roues des caissons. Ils visent les chevaux et les visages des cavaliers. La tactique de César devant les soldats de Pompée à Pharsale est ainsi révélée à ces pauvres paysans. Ajustés de cette manière par d’habiles tireurs qui ne manquent jamais leur coup, les cuirassiers font un mouvement en arrière. Une batterie de canons, pointée avec habileté et promptitude, décide de leur retraite.
Cependant, sur d’autres points, le succès de la journée est compromis. La précipitation des Vendéens a empêché de prendre les mesures conseillées par Donnissan et Cathelineau. Il faut maintenant adopter un plan, sinon toutes les divisions agissant séparément risquent d’être anéanties sous les efforts des républicains. Le seul moyen honorable de sortir de cette situation est d’enlever le camp de Varin.
M. Henri, ne disposant pas d’un bâton de commandement tel que celui du grand Condé à jeter dans les fortifications, lance son chapeau. « Qui va me le chercher ? » demande-t-il. Puis, suivi de Cathelineau, de la Ville-Baugé et de ses soldats, il saute le premier dans la redoute.
Coustard se rend compte que le plan des républicains est déjoué. Il se précipite pour secourir le camp, mais une des batteries de Marigny lui bloque le chemin. Il ordonne à un régiment de cavalerie de la prendre d’assaut. « Où nous envoies-tu ? » demande froidement le colonel Weissen. « À la mort », répond Coustard, « et vive la république ! »
Le colonel Weissen obéit. Il prend la batterie, mais ses cavaliers sont écrasés par les Vendéens. Les communications entre les différentes divisions de l’armée royale se rétablissent. Les républicains sont attaqués de toutes parts : leur centre, leur droite sont enfoncés. Berruyer, qui se bat avec un courage extraordinaire, tombe blessé.
Le jeune Marceau, encore simple officier dans la Légion germanique, arrache à la mort le conventionnel Bourbotte. On entend un cri de panique général, mais préférant la mort à la honte d’une telle défaite, trois compagnies du régiment de Picardie se jettent dans la Loire.
Berthier et Menou, voyant les progrès des paysans, font un dernier effort pour les arrêter. Placé sur le pont, à la tête des deux bataillons d’Orléans, protégés par une batterie, Berthier tente de s’avancer pour repousser la colonne du centre et une partie de celle de gauche des Vendéens. Cependant, ses bataillons ne peuvent résister au choc de l’ennemi.
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Le général voit son cheval être tué sous lui. Au même moment, sa cavalerie, prise en flanc par les royalistes, se débande et provoque le désordre dans les rangs de la colonne dirigée par Menou. Menou, lui-même, perd deux chevaux dans la mêlée et, comme Berruyer et Berthier, il est blessé. Son aide-de-camp, Cambon, arrive à son secours avec le douzième bataillon de la république. Mais à la vue des Vendéens, ce bataillon est saisi d’une terreur panique et bat en retraite.
Les royalistes se répandent alors comme un torrent par le coteau de Notre-Dame, le faubourg de Fenet, la montagne de Tarare et la Gueule-de-Loup. Malgré cela, des combats continuent à l’entrée de la ville, et l’artillerie du château ne cesse pas son feu.
Henri, accompagné de la Ville-Baugé, pénètre au galop dans la ville sans attendre que son corps d’armée le suive. Voyant l’ennemi fuir en désordre, il s’adosse à la salle de spectacle, tire sur les troupes ennemies à bout portant à peine séparées de lui par un intervalle de vingt pas, tue d’un coup de sabre un dragon qui accourt à bout portant pour décharger ses pistolets sur lui, puis se tourne et pointe deux pièces d’artillerie contre le château. Lorsqu’il est rejoint par quelques fantassins de sa division, Henri place quatre canons sur le pont de la Croix-Verte, et on le voit revenir demander aux siens si la ville de Saumur est prise. Bien qu’il y soit entré depuis plus de deux heures, les redoutes de Bournan tiennent toujours face à Marigny.
La Rochejaquelein s’élance alors au galop de son cheval. Le lendemain, les redoutes capitulent, de même que le château, où les révolutionnaires les plus ardents n’osent plus se défendre. Quatre-vingts pièces de canon, cent mille fusils et onze mille prisonniers tombent ainsi au pouvoir des Vendéens.
Source : Histoire de la Vendée militaire, Tome 1 – Jacques Crétineau-Joly