Il y a 400 ans, le 19 juin 1623, naissait Blaise Pascal, mathématicien, philosophe, inventeur et apologiste du christianisme.
Pour beaucoup, il est un « génie universel« , l’une des « superstars du catholicisme« , et à l’ère du Coronavirus, certaines de ses pensées ont pris une signification extraordinaire. Par exemple, le moine bénédictin Anselm Grün a expliqué que Pascal savait déjà au XVIIe siècle :
« Toute la misère humaine vient de ce que l’homme ne peut pas rester tranquillement assis seul dans une pièce« .
Le pape François a déclaré en 2017 qu’il était favorable à sa béatification. Il devrait publier une lettre apostolique dédiée à ce grand intellectuel chrétien.
Quatre cents ans après sa naissance, Blaise Pascal continue de fasciner et est surtout celui qui plaide pour que l’homme moderne reste fidèle au christianisme. Il est à la fois moderne et intemporel, décrivant l’homme comme « laissé seul » dans un univers devenu muet, « perdu« , suspendu entre sa « grandeur et sa misère« .
Pascal parle de nous de manière très concrète, il ne s’intéresse pas à l’essence de l’homme, mais à la condition humaine. Lire Pascal, c’est « consulter quelque chose d’éternel« . Blaise Pascal était un véritable génie universel.
Il est né à Clermont-Ferrand, dont il n’a pourtant presque rien vu. Il reste la plupart du temps confiné dans sa chambre car il est malade depuis l’enfance. Il souffre de violentes douleurs à l’estomac, de maux de tête et d’une paralysie des jambes, et perd sa mère à l’âge de trois ans.
Il est contraint de vivre derrière un bureau, se délectant de petites choses. Il l’a brillamment exprimé :
« Le plus petit mouvement fait une différence pour l’ensemble de la nature. L’océan tout entier est affecté par un caillou« .
Quelques années plus tard, la famille s’installe à Paris.
Un inventeur génial
Son intérêt pour les mathématiques se manifeste très tôt et avec une intensité incroyable, au point que son père craint qu’il ne néglige l’étude des langues. Dès l’âge de 12 ans, Pascal s’amuse à calculer les 32 premiers théorèmes de la géométrie euclidienne. À l’âge de 16 ans, il donne son premier cours à l’Académie de mathématiques sur le problème géométrique des courbes coniques et formule le théorème dit de Pascal.
En 1642, il réalise sa première invention : une machine à calculer pour son père, qui était à l’époque le principal collecteur d’impôts de Normandie. La « Pascaline« , comme on l’a appelée plus tard, n’a pas eu de succès parce qu’elle était trop chère à produire. Par ailleurs, il conçoit la première ligne de transport en commun, les omnibus parisiens.
La soif de connaissance du jeune homme n’est pas étanchée, il s’intéresse aux phénomènes physiques comme la pression de l’air et le vide. À l’âge de 24 ans, il découvre la loi de la pression dans les liquides (« loi de Pascal« ) et le calcul des probabilités. Ce calcul trouve son origine dans les jeux de hasard. Quelle est la probabilité de gagner ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Quoi qu’il en soit, Pascal pensait que la vie est un jeu de hasard. Il soulignait que nous avons devant nous un enjeu énorme, celui de gagner ou de perdre. Il a longuement réfléchi à cette question et a consigné son raisonnement dans un court texte connu sous le nom de « pari de Pascal » :
« Examinons donc ce point, et disons :
« Dieu est, ou il n’est pas. »
Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre; par raison, vous ne pouvez défaire nul des deux.
Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n’en savez rien. — Non ; mais je les blâmerai d’avoir fait, non ce choix, mais un choix; car, encore que celui qui prend croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier.
— Oui, mais il faut parier ; cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. (…). Votre raison n’est pas plus blessée, en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé.
Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. »
Le gain et la perte sont incommensurables. Ils se rapportent l’un à l’autre comme un nombre fini à l’infini. Le choix est donc évident.
Dans l’ensemble, les réalisations scientifiques de Pascal peuvent être regroupées en trois groupes : les travaux expérimentaux liés à la démonstration de l’existence du vide et de la pression atmosphérique, la série de travaux sur la théorie des jeux et les découvertes liées à l’étude de la cycloïde. Ces trois groupes de travaux occupent une place importante dans l’histoire des sciences. Les travaux du deuxième groupe ont donné naissance au calcul des probabilités, et ceux du troisième groupe ont largement contribué à la création du calcul différentiel et intégral.
Les travaux expérimentaux de Pascal sur le vide et la pression atmosphérique sont toutefois les plus intéressants. Tant le déroulement des expériences elles-mêmes que les discussions qui les ont suivies témoignent d’un processus important qui se déroulait à l’époque dans l’histoire des sciences, à savoir un changement d’attitude du chercheur vis-à-vis du monde qu’il étudiait. Pascal n’a pas fait appel à des prémisses philosophiques, mais s’est demandé comment concevoir une expérience pour répondre à sa question, et il n’a pas cru trop facilement aux résultats des expériences.
Il en concevait de nouvelles, modifiait les conditions, améliorait les instruments pour parvenir à une certitude de plus en plus grande. Pascal a imposé à la nature des informations qu’il n’avait pas lui-même à l’avance. Ses expériences n’étaient pas des « démonstrations », comme c’était le cas depuis l’Antiquité et le Moyen-Âge, mais aboutissaient à un résultat numérique, ce qui rendait possible l’analyse mathématique. Et dans ce domaine, Pascal était un maître. Rappelons que l’unité physique de pression porte aujourd’hui son nom, de même que le langage de programmation en informatique.
On pense très souvent que Pascal était un représentant du sentimentalisme religieux, c’est-à-dire qu’il séparait la sphère de la religion, dont il comptait les affirmations parmi les « vérités du cœur« , de la sphère de la science, censée être guidée uniquement par des raisons rationnelles. Il a d’ailleurs parlé de « sentiments du cœur« , mais dans un tout autre contexte.
Il faut distinguer, selon lui, « l’usage ordinaire de la raison« , qui consiste à déduire des conclusions à partir de prémisses, de la connaissance directe, qui concerne le nombre, le mouvement, l’espace et le temps. Cette connaissance, « qui vient du cœur« , est « aussi solide que celle qui vient de la raison« . Par exemple, « le cœur sent » qu’il y a trois dimensions spatiales et que la suite des nombres est infinie. Ce type de connaissance n’est pas du tout inférieur à la connaissance rationnelle.
Pascal lance un appel :
« Comme si la raison était la seule voie de la connaissance ! Pour l’amour de Dieu, au contraire, que nous n’en ayons jamais besoin et que nous sachions tout par l’instinct et le sentiment« .
Ainsi, « cœur » et « sentiment » n’ont pas du tout la même signification dans les mots de Pascal que dans notre langage courant.
L’expérience d’un éveil mystique
D’abord peu pratiquante, la famille de Pascal entre en contact avec l’enseignement religieux de l’évêque réformateur néerlandais Cornelius Jansen ; sa jeune sœur Jacqueline souhaite entrer dans un ordre religieux. Pascal lui-même interprète ses fréquentes douleurs aux jambes comme un signe divin et décide de mener une vie pieuse et ascétique. Sa sœur entre dans les ordres après la mort de son père en 1651.
Le soir du 23 novembre 1654, le jeune Pascal fait lui-même une expérience mystique qui lui tient tellement à cœur qu’il l’écrit sur un morceau de parchemin :
« Le Dieu d’Abraham, le Dieu de la terre, le Dieu de la terre, le Dieu de la terre, le Dieu de la terre, le Dieu de la terre : « Le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude, sentiment, joie, paix. Le Dieu de Jésus-Christ« .
Ce « souvenir« , qu’il portait en permanence sur lui, cousu dans son manteau, n’a été retrouvé qu’après sa mort.
À la suite de ces événements, Pascal change de vie et d’orientation : il s’installe à Port-Royal, alors centre du mouvement janséniste. Il y vit en ascète et se consacre principalement à des réflexions religieuses et morales. Les « Provinciales« , qu’il publie entre 1656 et 1657 sous le pseudonyme de Louis de Montalte, s’inscrivent dans cet esprit. Il s’agit de lettres dans lesquelles il critique violemment et vertement la théologie des Jésuites, alors très influents. Pascal les considérait comme trop libéraux et trop sophistiqués, et au sens moral et théologique, laxistes. Les « Provinciales » furent bientôt inscrites à l’index des livres interdits par l’Église. En 1660, l’édition latine fut brûlée publiquement à Paris.
Son œuvre principale, les « Pensées« .
Parallèlement à ses études mathématiques, il écrit des lettres sur les débats théologiques en cours et commence un grand ouvrage sur le christianisme : « Pensées« , qui se veut une « apologie de la religion chrétienne« .
Il y aborde de nombreuses questions religieuses et morales. Son scepticisme antérieur à l’égard de la philosophie traditionnelle se transforme en une critique ouverte. Pascal y voit les faiblesses et les limites de la pensée humaine. Philosopher n’est que souligner philosophiquement les limites de la pensée, pour ensuite appeler à un acte de foi, c’est-à-dire à une forme de foi catholique radicale.
Pascal rejette également les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu, affirmant qu’elles sont inefficaces et qu’elles induisent les gens en erreur. Le Dieu des philosophes n’est pas le Dieu des chrétiens, leurs recherches ne mènent qu’au déisme ou à l’athéisme, Dieu ne peut être connu que par le Christ. Tous ceux qui cherchent Dieu en dehors du Christ et qui ne vont pas au-delà de la nature se retrouvent sans lumière ou parviennent à connaître Dieu et à le servir sans intermédiaire, ce qui les fait tomber soit dans l’athéisme, soit dans le déisme, deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également.
Une mort prématurée a empêché l’achèvement de l’ouvrage. Il reste néanmoins l’un des textes philosophiques et religieux les plus lus.
Pascal est mort à l’âge de 39 ans, le 19 août 1662, quelques mois après le décès de sa jeune sœur.
Les contradictions de l’existence humaine décrites dans les « Pensées » ont également façonné la philosophie de l’époque moderne, même chez ceux qui se décrivent comme athées. Friedrich Nietzsche a honoré Pascal comme « le seul chrétien logique qui ait fait un effort honnête d’autocritique en tant que chrétien » et Albert Camus l’appelle « le plus grand de tous, hier et aujourd’hui« .
Lettre du pape sur Pascal
Il y a six ans, le pape François a déclaré dans une interview à propos de Pascal : « Je pense qu’il mériterait d’être béatifié« .
Un jésuite qui béatifie un adepte du jansénisme, voilà qui serait inhabituel dans l’histoire de l’Église et de la religion en général. Cela conviendrait à l’auteur de lignes telles que : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas« .
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Une Société des amis de Blaise Pascal a été fondée en 2019 par des étudiants de l’École normale supérieure de Paris pour soutenir sa béatification, mais le procès n’a pas encore été lancé par l’archevêché.
Le 19 juin prochain, le pape a l’intention de publier une lettre apostolique à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Pascal.
Cet article a été publié originellement par Ekai (Lien de l’article).
Quel génie !